« Je te raconte pas1... »

 

Jacques BRES
Praxiling, Montpellier III

On s’accordera pour considérer les textes que Labov a consacrés au récit oral comme fondateurs, tant dans la définition de l’objet lui-même que dans les analyses proposées. Je me propose de revenir sur deux éléments récurrents de ces textes écrits sur une quinzaine d’années : la structure générale du récit ; sa structuration temporelle.

1. STRUCTURE DU RECIT ORAL

Il serait intéressant d’étudier diachroniquement la production narratologique de Labov. On verrait comment le sociolinguiste, d’un texte à l’autre, intègre la dimension interactive du récit oral, présente cependant dès 1967 à travers la notion d’évaluation. Ce ne sera pas la perspective que j’adopterai ici. Je remarquerai que Labov, dans son analyse du récit en 6 parties : abstract, orientation, complication, évaluation, résolution, coda, à la fois (a) fait éclater et (b) reste tributaire de la conception structurale qui approche le récit comme un texte monologal.
(a) La distinction entre propositions narratives et propositions libres permet d’opposer les parties narratives (complication/résolution) aux parties principalement évaluatives, parties dans lesquelles le narrateur gère la mise en récit qu’il est en train de réaliser dans son rapport au narrataire. Plus strictement : l’évaluation, à la fois partie et fonction, irradie tout le texte. Voilà qui introduit au récit comme acte se réalisant dialogalement et dialogiquement dans 1’interaction.
(b) Mais Labov reste sur le seuil de ce type d’analyse, tributaire qu’il est d’une conception monologale du récit. Les exemples cités sont présentés en effacement des tours de parole des interlocuteurs du narrateur. Seul le texte de 1977 parle de listener’s évaluation (réponse du narrataire).
(c) Je propose de compléter la structure labovienne de six éléments qui permettent de poser pleinement le récit dans l’interaction : le protocole d’accord (offre/demande), chargé d’assurer la réussite de la mise en récit ; les énoncés véridictoires, attestant la véracité de la mise en intrigue ; les réactions des narrataires par lesquelles ceux-ci manifestent continûment qu’ils suivent et s’intéressent au récit ; l’évaluation post-narrative, réglant le sens et la valeur explicite du récit ; la reprise narrative dans laquelle le narrateur réitère tout ou partie des éléments complication + résolution ; la réponse des narrataires qui évalue, en approbation ou réprobation, la mise en récit.
Je présenterai ici seulement trois d’entre eux.
• le protocole d’accord : le récit est parfois précède d’une négociation – incluant le résumé –, négociation très variable selon le type d’interaction. Par exemple, sur les médias, où plus qu’ailleurs le temps est compté, le narrateur sollicite l’autorisation de raconter en l’assortissant d’une promesse de brièveté :

[1] Télévision. Caractères, 25-9-92
A.l      je peux raconter en deux mots ?
B.2     en un mot et demi

Fréquemment, le narrateur justifie par avance sa mise en récit en verbalisant le caractère extraordinaire de l’événement :

[2] Télévision. Vive le vélo, 26-7-92
A.l      eh Gérard, si vous voulez bien Je vais vous raconter une (2) fantastique (2) histoire de vélo
B.2      allez-y / on vous écoute

Ainsi introduite la mise en récit est autorisée et justifiée : le protocole d’accord prépare son succès. Autant de précautions signalent que raconter c’est – dans telle interaction – transgresser (légèrement) le tempo de l’alternance des tours ; que c’est aussi un acte où le narrateur va s’exposer, d’où l’intérêt qu’il y a à conditionner par avance positivement son public. Comme dans toute prise de risque, il vaut mieux ne pas travailler sans filet.
• Les narrataires, non seulement évaluent le récit après sa coda (réponse des narrataires) mais participent activement à sa production (réaction des narrataires), notamment par les régulateurs. Je prendrai un exemple a contrario, où le récit tourne court du fait du non-acquiescement des narrataires :

[3]       Récit recueilli dans le cadre de l’interview d’un habitant du quartier des Beaux-Arts, Montpellier (1993)

A.l      P1       y-y a des trucs qui sont un peu décevants d’ailleurs /
2         moi j’allais au marché
(...)
4         l’autre fois j’ai demandé à une femme combien les les les courgettes /
5         elle m’a dit 19 F 90 ou un truc comme 19 F /
6         alors j’ai dit /
7         je les avais vues la veille chez l’épicière à 17 F /
8         alors c’est mesquin ce que je dis mais enfin (rire de A : mm B)
9         ça fait quand même:
10       on on a
11        avant au au marché on pensait qu’au marché on s’arrangeait mieux que (oui c’est vrai oui B) que: que dans des / dans dans des boutiques quoi /

P5-P8 : les narrataires - deux étudiants conduisant l’interview, qui, dans l’analyse faite avec eux de ce récit, diront ne jamais faire le marché et ignorer donc tout des prix ! — n’évaluent pas le prix des courgettes rapporté en P5. P6 qui allait énoncer la réponse du je, est interceptée : P7 donne une indication qui devrait permettre aux narrataires de décoder le sens et de réagir. En vain. Devant tant d’incompréhension, le narrateur en P8, au lieu de reprendre le programme intercepté en P6, remonte très habilement du temps raconté au temps du raconter, en une coda dévaluative (« mesquin »), ponctuée d’un petit rire de gêne, auquel un des narrataires réagit mais en confirmation. Devant tant de manque de coopération – involontaire de la part des narrataires mais que le narrateur a plutôt décodé comme réprobation – le narrateur choisit l’ellipse de la résolution, se précipite sur l’évaluation post-narrative (P11). Le récit tourne court.
L’énoncé véridictoire. Labov a bien montré comment le récit était structuré de façon à susciter l’intérêt du narrataire, à éviter la rebuffade finale du « so what » ? (« eh alors ? »). Il est une autre rebuffade que le narrateur doit prévenir : celle qui met en cause la vérité du récit : tu affabules, c’est des blagues, arrête ton char, etc ... Afin de prévenir cette offense, le narrateur use d’énoncés que j’ai appelés véridictoires dans la mesure où ils visent à authentifier que « ça s’est bien passé comme je raconte » : tel quel, ah je le jure, tu peux le demander à X, etc ... Ces énoncés visent non un témoignage d’intérêt mais une reconnaissance de vérité (Consoli 1979). Leur production me semble devoir être mise en rapport avec un des fonctionnements du langage : l’autonomie du linguistique par rapport au référentiel. Si le langage permet de dire la réalité en son absence, il permet de mentir sur cette réalité. De sorte que, cela même qui est au principe du récit — pouvoir parler d’un événement en son absence — le menace fortement dans sa prétention à dire que « ça s’est bien passé comme ça ». Raconter et mentir ont commune origine, ce dont rend bien compte la rebuffade : « tu nous racontes des histoires2 ». L’énoncé véridictoire est la tentative – par avance condamnée à l’échec puisqu’elle se fait dans le langage – de recoller l’angle qui sépare les mots des choses, le récit de l’événement.
Attente de témoignage d’intérêt (le tu), attente de reconnaissance de vérité (le tiers garant) définissent les fondements de la dimension interactive du récit. Il arrive d’ailleurs que les signifiants de l’un servent à l’expression de l’autre. Ainsi de l’évaluatif : incroyable. Du même genre, plus habile, le protocole d’accord suivant :

[4] Récit recueilli dans le cadre de l’interview d’une gardienne de W.C. de gare. Montpellier, ( 10.1.91 ).

A.l      P1       si je vous disais ce qu’on m’a dit moi ma pauvre
B.2      2          j’aimerais bien
A.3     3          ah un jour (...)

Le tour de parole B2 (l’intervieweur) pose que P1 a été entendu comme un acte indirect d’offre de récit. Cette proposition, syntaxiquement, se présente comme une subordonnée avec ellipse de la principale. Si l’on rétablit le programme on obtient :

si je vous disais ce qu’on m’a dit, [vous ne me croiriez pas]

Très habilement, la narratrice suscite l’intérêt du narrataire, en posant, négativement et en hypothèse, la reconnaissance de vérité.
C’est un phénomène du même genre que l’on observe dans l’énoncé métanarratif, fort à la mode aujourd’hui : « je te raconte pas ». Paradoxe apparent : à de rares exceptions près, cet énoncé sert non pas à écarter la mise en récit mais à l’introduire. Questionnant les narrateurs sur le sens de cet énoncé, il m’a été répondu qu’il était l’équivalent, en plus branché, d’énoncés du genre : extraordinaire, fantastique. C’est-à-dire qu’il fonctionne comme une demande de témoignage d’intérêt. Mais comment rendre compte de cette production de sens à partir du sens produit par le réglage attendu du verbe raconter ? Je formule l’hypothèse suivante : cet énoncé est l’interception du programme syntaxique

je te raconte pas [des histoires]

Négation polémique : le locuteur répond dialogiquement par avance à la parole de son interlocuteur qui pourrait dire : « tu racontes des histoires ». Cet énoncé produit le sens de : c’est bien vrai. A savoir qu’il est un énoncé véridictoire, procédant de la demande de reconnaissance de vérité. L’ellipse du SN des histoires s’accompagnerait d’un déplacement de sens : l’énoncé véridictoire devient sollicitation d’intérêt3.
Pour conclure sur ce premier point de la structure du récit, il me semble qu’il y a tout intérêt à analyser le récit, plus que ne le fait Labov, dans la dialogalité de l’interaction. Dans cette perspective, il est sans doute plus opportun de parler, plutôt que de parties du récit, d’éléments : si certains ont une place fixe, d’autres, au contraire, sont déplaçables, combinables, entrent à des degrés divers dans les différentes mises en récit.

2. STRUCTURE TEMPORELLE DU RECIT ORAL

Labov pose la catégorie temps au principe du récit : c’est sur elle qu’il fonde sa définition du récit comme suite d’au moins deux propositions temporellement ordonnées, c’est-à-dire reliées par une jonction temporelle, implicite ou explicite, de l’ordre de la successivité. Ainsi dans :

[5] Récit recueilli dans le cadre de l’interview d’un ouvrier. Aies (1984)

P1       une fois on a même séquestré le directeur
2          remarque les CRS sont venus nous sortir de là

Selon Labov, il y a récit parce que l’ordre des propositions narratives (PN) reproduit celui des événements : (1) la séquestration ; (2) l’expulsion. Malgré l’intérêt de cette définition, elle me semble faire problème : le sociolinguiste justifie la nécessité de l’ordre temporel progressif par la dépendance référentielle du récit (1967 : 20). N’y a-t-il pas là quelque ingénuité qui conduit à confondre récit et événements rapportés ? Le réel se présenterait-il déjà ordonné, un ordre que le récit ne ferait que reproduire ? Illusion rétrospective : l’événement, avant d’être narré, et même en dehors des récits que l’on peut en faire, est pris dans un enchevêtrement de temporalités différentes. C’est la mise en intrigue qui de l’hétérogénéité tire une unité, notamment temporelle.
Par provocation, je dirai que ce n’est pas le récit qui tire son ordre temporel de l’événement, mais l’événement de sa mise en récit. Plus concrètement : si je m’accorde avec Labov pour concevoir le récit minimal comme suite d’au moins 2 PN ordonnées, je conçois la jonction temporelle non comme donnée par l’événement mais comme produite par la mise en récit elle-même. Tâchant de saisir la jonction temporelle dans le dynamisme de sa production, je la réfère à un acte concret d’actualisation que je propose de nommer mise en ascendance.
Le concept d’ascendance est emprunté à Guillaume qui distingue deux représentations du temps : descendante, ascendante. Selon la première, le temps est appréhendé par le sujet comme se déroulant du futur vers le passé. Il « est senti être la puissance qui emporte toute chose, et la personne humaine, à la destruction » (Guillaume 1951/1969 :193). Cette appréhension descendante est contredite par l’action de l’homme sur le monde : l’agir a direction ascendante : il est projet par lequel l’homme va au monde, fait du présent une instance dans laquelle le sujet se consolide de son passé pour s’orienter vers l’avenir. Selon cette appréhension, le temps est vu se dérouler du passé vers le futur, direction « selon laquelle il est senti être le champ ouvert, devant la personne humaine, afin qu’elle y porte et développe sa propre activité » (ibid.).

passé              présent                 futur
----------------------------------------------->   visualisation ascendante
<---------------------------------------------      visualisation descendante

 

Fort de cette analyse, j’avance l’hypothèse suivante : le récit est une mise en ascendance du temps raconté par le temps racontant. Les narratologues de l’écrit s’accordent pour distinguer – avec des terminologies différentes – deux types de temps : le temps raconté, le temps du raconter. Le temps raconté correspond au temps – réel ou fictif – pendant lequel se sont déroulés les événements mis en récit. Le temps du raconter est le temps occupé par la narration de ces événements. Le temps du raconter correspond à la retombée en objectivité mesurable – temps mort – de la dynamique ouverte – temps vivant – par l’activité du dire sous-tendue de celle de l’à-dire, que je propose d’appeler temps racontant. On pourrait opposer le premier comme temps de l’objet au second comme temps du projet. Le temps racontant de par sa nature et sa fonction me semble une des clés de voûte de la narrativité.
Correspondant au temps du dire (sous-tendu d’à-dire), il est comme lui ascendant : conquête de futur appuyée en présent. Nous avons tout à l’heure avancé le terme de projet. Le temps racontant, qui se déroule sur l’ascendance du dire, a la forme de l’agir ; conquête d’avenir à partir du présent. Le temps racontant, en tant qu’il est un seuil mobile se déplaçant au fur et à mesure de l’actualisation du récit, soutient de son ascendance le temps raconté lui-même.
Dans le mini-récit [5], P2 apparaît comme postérieure à P1 parce que l’énonciation [P1, P2] s’opère en temps racontant. C’est l’ascendance du temps racontant qui implique l’interprétation en ascendance du temps raconté.
Dans cette perspective, la jonction temporelle – l’outil métanarratif alors ou après — lorsqu’elle est explicitée, est un des lieux où s’inscrit le travail de mise en ascendance. Une observation commune : les enfants, lorsqu’ils apprennent à raconter vers 3/4 ans produisent des séquences du genre :

l’autrefois à la récré ça a bataillé, alors moi je suis sorti le premier après, après, après Benjamin il est venu comme ça après, après ...

comme si le travail de mise en ascendance fonctionnait à blanc ou plutôt comme si, dans ces bégaiements d’actualisation sur l’outil métanarratif, se laissait entrapercevoir le travail de mise en ascendance lui-même en quoi procède – entre autres – l’actualisation du récit. Ce travail, lorsque le modèle narratif est mieux maîtrisé, tend à se réaliser silencieusement, en effacement de lui-même, même si, parce que la mise en ascendance coûte à réaliser, on peut le repérer à l’œuvre dans certains ratages spécifiques qui ne manquent pas de parsemer les mises en récit de tout un chacun (Bres 1991).
Si, selon la belle formule de Ricœur, le récit est « le gardien du temps », c’est selon moi principalement au titre de la mise en ascendance : par l’acte de narration, le temps qui emporte inexorablement vers le passé qui efface et déréalise est inversé en temps du désir en quête de réalité : le temps ascendant de l’agir. De quoi jouit-on dans le moindre récit si ce n’est, outre l’intérêt que l’on peut prendre à son contenu, du plaisir partagé de retourner le temps en conquête d’avenir, de susciter l’ascendance qui donne satisfaction d’être un sujet duquel émanent des actes ? Le récit donne sens (= signification) parce qu’il donne sens (= direction ascendante).
Ce sera là ma coda. Je vous le promets, ou plutôt je vous raconte pas... des histoires.

 

BIBLIOGRAPHIE
BRES J., 1991, « Le temps, outil de cohésion ; deux ou trois choses que je sais de lui », Langages, 104, 92-110.
BRES J., 1993a, « Alors raconte ! La négociation du récit dans l’interaction de l’interview », Actes du colloque L’analyse des interactions, Aix-en-Provence, (à paraître).
BRES J., 1993b, La narrativité. Approche linguistique, Duculot.
CONSOLI S., 1979, « Le récit du psychotique », in Kristeva J. (ed), Folle vérité. Le Seuil, 36-76.
GUILLAUME G.. 1951/1964, « La représentation du temps dans la langue française », Langage et science du langage, Nizet, Presses de l’Université Lavai, 84-207.
LABOV W., 1972, « La transformation du vécu à travers la syntaxe narrative », chapitre 9 de Language in thé inner city, trad. Française : 1978, Le parler ordinaire, I, Minuit, 289-355.
LABOV W., 1981, « Speech actions and reactions in personal narrative », in Tannen D., (ed) Analyzing discourse : tvxt and talk, Georgetown University Round Table, 214-247.
LABOV W. et WALETZKY J., 1967, « Narrative analysis : oral versions of personal experience », in Heim J. (ed), Essays on the verbal and the visual arts, Seattle, University of Washington Press, 12-44.
LABOV W. et FANSHEL D., 1977, Therapeutic Discourse, Académie Press, 104-110.

 

1 Cet article a été publié une première fois dans un recueil dirigé par Jacques Bres portant sur la narrativité orale : Le Récit oral, suivi de Questions de narrativité, Montpellier, Université Paul-Valéry - Montpellier III, 1994.

 

2 Il n’est bien sûr pas qu’en français qu’un même praxème – histoire – puisse signifier récit et mensonge. Un étudiant marocain me signale qu'en arabe dialectal, [Korafa] (légende. mythe) joue ce rôle : [Baraka malkrafala:ja] : arrête de me raconter des histoires.

 

3 Cette analyse ne prétend pas couvrir l'ensemble des sens produits par cet énoncé. Lors de la discussion, F. Madray-Lesigne a proposé de l'analyser comme une dénégation ; A. Giacomi d’y voir un appel à connaissances partagées...

 

Article publié le 20 octobre 2006

 

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Bibliographie

 

 

 

 

 

 

Avant-propos
Par Raphaël Baroni

 

Cet article, tiré d’un ouvrage consacré au récit oral dirigé par Jacques Bres (Le Récit oral, suivi de Questions de narrativité, Montpellier : Université Paul-Valéry, 1994), insiste sur le caractère dialogique et pragmatique de la narration orale. Au-delà « procédés évaluatifs », déjà signalés par Labov, il insiste en particulier sur les séquences interlocutives dans lesquelles s’établit un « protocole d’accord » entre le narrateur et son narrataire, mais également sur celles dans lesquelles le narrataire procède à une « régulation » de la performance du narrateur, et celles enfin où ce dernier produit un « énoncé véridictoire », qui vient en général clore la séquence narrative. Dans la seconde partie de l’article, Bres revient sur la conception praxématique de la narrativité qu’il a développée dans son ouvrage La Narrativité (Louvain : Ducolot, 1994). Dans le prolongement des travaux de Ricœur et de Guillaume, il souligne le rôle du récit dans la transfiguration du passé dans le présent de l’interaction verbale. Le récit « en acte » (notamment dans l’énonciation orale) consisterait ainsi en la mise en ascendance du temps, qui s’oppose à la décadence de l’expérience temporelle non médiatisée (à la « fuite du temps »), et cette propriété du récit permettrait à l’individu de s’éprouver comme sujet à travers la protensivité de son discours. Cet article peut être lu en relation avec celui de Pierre Sadoulet que nous proposons dans ce dossier : Sadoulet s’est inspiré en partie des travaux de Bres en étendant son modèle pragmatique au procès de la lecture littéraire.

Références

Les recherches de J. Bres (Praxiling, ICAR UMR 5191 CNRS-Montpellier III) font travailler le concept d’actualisation sur les trois domaines de la narrativité, du temps verbal et du dialogisme.

2006 — (en collaboration avec J. Barcelo) Les temps de l’indicatif, Paris : Ophrys.
2005  — L’imparfait dit narratif, Paris : CNRS-Editions.
2005 — (en collaboration avec Haillet P., Mellet S., Nølke H., Rosier L.) (dir.) Dialogisme, polyphonie : approches linguistiques, Bruxelles : de Boeck. Duculot.
1994 — Le Récit oral, suivi de Questions de narrativité, Montpellier : Université Paul-Valéry - Montpellier III.
1994 — La Narrativité, Louvain : Ducolot.

 

 

 

 

 

 

Vox Petica 2005