vox poetica

La Narratologie, aujourd’hui
séminaire EHESS / CRAL

séance du 4 février 2003

Résumé de l’intervention de Francis Berthelot
« Les Fictions transgressives »

Depuis plusieurs décennies, le champ littéraire est séparé en deux continents : la littérature générale, que les anglo-saxons appellent mainstream ; et les littératures de l’imaginaire, regroupées sous le label de SF. A la frontière se rejoignent un nombre d’auteurs qui pratiquent ce que l’on désignera sous le terme de fictions transgressives. Dans une perspective narratologique, on peut regrouper leurs modes de transgression en deux catégories : la transgression de l’ordre du monde (approche thématique) et la transgression des lois du récit (approche discursive).

Dans le cadre romanesque, le temps est un objet de transgression d’autant plus important que le récit est soumis à une double chronologie, en tant qu’histoire et en tant que discours. Les distorsions qu’il subit s’accompagnent d’un détournement des différentes lois scientifiques qui régissent notre univers, en sorte d’offrir une métaphore à la réflexion existentielle. Pour étayer la transgression du réel par la surnature, la fiction se tourne souvent vers les mythes, ancrés dans l’inconscient et les représentations des peuples, mais relus selon le regard propre des auteurs. Enfin, une fois l’ordre du monde remis en cause, ceux-ci peuvent lui opposer un univers inventé n’obéissant plus aux repères réels mais à une pure exigence fictionnelle.

La notion même de fiction transgressive implique que les ouvrages considérés ne soient pas soumis aux règles d’un genre déterminé. Avant de dynamiter le récit lui-même, cependant, les auteurs revisitent l’art sous ses aspects les plus divers, celui-ci introduisant (comme créateur de représentations) un décalage par rapport à la réalité. Ils peuvent aussi glisser dans un récit à peu près réaliste un élément incompatible avec sa logique, de manière à induire un dérapage de la réalité. L’étape suivante est un éclatement des lois du récit, où le principe même du narrateur est mis à mal de toutes les manières possibles. Enfin, au delà des infractions infligées à la structure, le caractère purement poétique de l’écriture reste le dernier outil par lequel les auteurs déréalisent le monde qu’ils décrivent.

Ainsi, il existe entre mainstream et SF une zone frontalière qui possède sa logique propre : la zone des fictions transgressives. Loin des conventions de genre, elles procèdent à une double transgression de l’ordre en place :

  • d’abord, en jouant sur le rapport réel / imaginaire, donc en introduisant dans le récit des éléments qui dépassent le monde où nous vivons.
  • ensuite, en jouant sur le rapport réalité / fiction, donc en déconstruisant le récit par des stratagèmes qui exacerbent sa nature fictionnelle.

vox-poetica 2003