Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux de la séquence narrative

Raphaël Baroni

Conférence au CRAL : La narratologie aujourd’hui – le 6 janvier 2004

Introduction

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais dire quelques mots au sujet de ce séminaire consacré à la narratologie : j’avoue que je suis particulièrement bien placé pour apprécier son intérêt vital, ne serait-ce que pour justifier mes propres recherches, parce que cet intitulé, « La narratologie aujourd’hui » présuppose, au moins hypothétiquement, que la narratologie existe bel et bien en tant que discipline vivante en France. John Pier a déjà insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’il fallait aujourd’hui plutôt parler de narratologies (au pluriel) et que ces courants, multiples et parfois divergents, sont principalement actifs dans le monde anglo-saxon et ont progressivement pris leurs distances par rapport aux travaux narratologiques classiques de la période structuraliste. Dans la deuxième séance de novembre, Philippe Roussin soulignait quant à lui que le débat narratologique se poursuivait maintenant essentiellement dans des revues de langue anglaise et, comme me le faisait remarquer récemment Marielle Macé, les « jeunes » narratologues semblent avoir pratiquement disparu du milieu académique français. Je fais donc probablement figure de dernier des mohicans qui, en participant à ce séminaire, aurait trouvé refuge dans une réserve.

Cela peut paraître, soit exagérément modeste, soit particulièrement présomptueux de m’attribuer une telle étiquette, mais il me semble en effet que traiter de la question de la séquence narrative, non pas dans une perspective purement historique, mais bien dans l’espoir de faire avancer la question, cela tient, pour le moins, de la gageur, surtout si l’on songe que ce concept était au cœur de la plupart des travaux structuralistes sur le récit dans les années soixante et soixante-dix. Il me semble que traiter de la séquentialité du texte narratif, c’est donc s’attaquer au cheval de bataille de la version intégriste radicale dure des travaux structuralistes ; c’est se pencher sur la tradition proppienne réinterprétée par Greimas, Courtès, Lévi-Strauss, Bremond, Larivaille, Todorov, et j’en passe ; c’est aborder des travaux centrés sur ce qui était autrefois défini comme la « structure profonde » du texte, sur la forme essentialisée de la fabula, que l’on s’imaginait à la fois autonome et immanente, et qui laissait de côté la dimension pragmatique et discursive des textes narratifs.

Disons-le d’emblée, si la tradition narratologique anglo-saxonne semble aujourd’hui plus dynamique que celle qui perdure dans l’espace français, c’est probablement en grande partie parce que la sémiotique Piercéenne s’est montrée sur le long terme plus efficace que les travaux d’inspiration Saussurienne pour traiter le phénomène des structures narratives dérivées des récits. La critique passionnante que nous a donnée Philippe Roussin dans l’avant-dernière séance, du dualisme entre expression et contenu qui, dans le cadre du récit de fiction, se retrouve dans le dualisme hérité des formalistes russes entre fable et sujet, ou entre histoire et discours, nous en fournit la preuve. Nous verrons par la suite que, pour maintenir cette distinction, qui me paraît tout de même précieuse d’un point de vue heuristique, il est nécessaire de recourir au modèle sémiotique d’Umberto Eco, qui opère précisément un renouvellement de la perspective structuraliste en l’enrichissant des apports de la sémiotique piercéenne. Nous insisterons en particulier sur le fait que Eco considère qu’une structure textuelle comme la fabula est un interprétant du texte, c’est-à-dire le produit sémiotique issu de la manifestation linéaire d’un texte interprété par un sujet pourvu de compétences encyclopédiques spécifiques. Nous verrons que pour comprendre le phénomène de la séquence narrative aujourd’hui, il faudra donc toujours garder à l’esprit ces différents pôles que sont :

-              la trace textuelle, qui n’est qu’un texte potentiel ;

-              le lecteur, qui actualise ce texte par l’acte de lecture ;

-              la compétence encyclopédique qui rend possible cette actualisation ;

-              les structures narratives, qui sont des interprétants résultant de la rencontre du texte et du lecteur et qui décrivent une organisation séquentielle du texte au-delà des limites de la phrase.

Il me semble qu’une autre cause du dynamisme anglo-saxon tient également à l’orientation plus pragmatique et empiriste de certains courants d’analyse du récit qui ont fini par se rapprocher de la narratologie et par lui fournir des outils particulièrement performants. Je pense notamment au courant cognitiviste et aux travaux en intelligence artificielle qui ont permis de redonner une certaine consistance à ces concepts théoriques fondamentaux, mais relativement vagues dans les théories de la lecture, que sont, suivant les terminologies, les compétences encyclopédiques (pour Eco) ou les préjugés (pour Gadamer) ou le répertoire (pour Iser) ou l’horizon d’attente (pour Jauss) ou la préfiguration (pour Ricœur). Ainsi, dans la bibliographie que je vous ai fournie, je soulignerai en particulier les travaux de Bertrand Gervais, qui m’ont été particulièrement utiles et qui intègrent notamment la notion de plan-acte tirée des travaux en intelligence artificielle de Schank et Abelson, et ceux de Brewer qui, dans une perspective cognitiviste, traite précisément de la question de la tension narrative sous la forme du suspense, de la curiosité et de la surprise. D’autres notions, auxquelles je ne ferai pas appel aujourd’hui, mais qui sont d’un intérêt considérable pour la narratologie qui s’intéresse à la séquentialité du texte, sont les concepts de script et de schéma qui viennent également des travaux en intelligence artificielle et de la psychologie cognitive.

Dans tous les cas, ces approches fournissent des modèles concrets qui peuvent être mis à l’épreuve, à travers des tests de résumé ou de mémorisation soumis à des groupes de lecteur, ou par l’intermédiaire de programmes informatiques, dont les capacités à désambiguïser une phrase peuvent être évalués. Loin de fournir des modèles abstraits, immanents, dont le statut ontologique resterait assez vague, la séquence narrative prend dans ces recherches une forme concrète qui débouche soit sur une simulation informatique, soit sur un modèle mental empiriquement vérifiable, modèle qui vise à définir la nature et la forme des schèmes mentaux qui permettent aux lecteurs d’appréhender, de reconstruire ou d’anticiper une structure narrative. Il me semble que ce statut ontologique de la séquence, en tant que schème mental présupposé qui assure une fonction de médiation dans la communication littéraire, même s’il est parfois discutable et est encore discuté, représente néanmoins ce qui fait le plus défaut aux théories narratologiques « classiques » ou « structuralistes », qui considèrent au contraire la séquence comme une propriété immédiate du texte, comme un signifié (dans ce cas, l’histoire narrée) placé dans une relation d’équivalence avec un signifiant (qui serait le discours narratif).

Il me faudra donc préciser, ce qui peut être parfois laborieux mais néanmoins nécessaire, les distances que je prends par rapport aux travaux structuralistes dans le prolongement desquels je situerai malgré tout mes propos, mais il me semble qu’au bout du compte, je ne dirai pas grand-chose de très nouveau sur la séquence narrative, et que j’en reviendrai à une conception assez classique de la structuration des textes narratifs. Il faut voir dans cette présentation, qui renonce à l’originalité, un certain optimisme épistémologique qui me fait penser que ce n’est pas parce que l’horizon théorique d’hier s’est profondément modifié que nous devons penser que les narratologues qui nous ont précédé ont dit n’importe quoi. Il me semble qu’ils se sont seulement exprimés dans un cadre théorique un peu radical, qui visait à libérer l’analyse littéraire du psychologisme lansonien, et qui doit être aujourd’hui réadapté à notre vision contemporaine, qui appréhende le discours littéraire comme une production sémiotique plus ou moins déterminée par des codes.

En revanche, et malgré ce que je viens de désigner comme un certain optimisme épistémologique, il me semble nécessaire de pointer du doigt certaines confusions, et même une certaine régression dans la compréhension de la structuration séquentielle du récit entre les positions défendues par les formalistes dans les années vingt et la conception structuraliste dominante qui s’est fondée, dans la majeure partie des cas, sur une lecture discutable de Propp, au lieu de poursuivre dans la direction ouverte par la conception dialogique de Bakhtine, et de prendre appuis sur les réflexions de Tomachevski sur le récit qui me paraissent très fécondes et largement sous-exploitées. Son article Thématique qui fut traduit en 1965 par Todorov dans son recueil de textes intitulé Théorie de la littérature, constituera donc le cœur de mon analyse.

Quoi qu’il en soit, avant de revenir sur ces différentes questions théoriques, j’essaierai de justifier mon intérêt pour la question de la séquence narrative et je commencerai par confesser, sincèrement, que je ne pensais avoir à aborder ce genre de problèmes théoriques en commençant à travailler sur ma thèse. Ce n’est que progressivement, en avançant dans mes recherches, que cette question de la séquentialité du texte s’est imposée à moi. Il n’est donc pas inutile d’opérer un détour rapide sur les circonstances qui m’ont amenées à traiter ce sujet, avant d’expliquer comment j’entrevois aujourd’hui la séquence narrative.

A l’époque où je travaillais dans le groupe de recherche « récit, secret et socialisation » que dirige André Petitat à l’Université de Lausanne, j’envisageais de traiter les jeux de bascule entre information cachée et dévoilement dans l’expression littéraire, ce qui m’a naturellement conduit à m’intéresser à la question de la coopération textuelle et discursive, notamment par le biais de l’approche sémiotique d’Umberto Eco. Dans ce contexte théorique, retenir stratégiquement une information importante l’action décrite pouvait être interprété comme un jeu sur la coopération entre auteur et lecteurs, jeu qui vise à créer un effet de lecture particulier, une incertitude provisoire, de la même manière qu’une implicitation conversationnelle est décrite par Grice comme une transgression ouverte de certaines règles conversationnelles, amenant l’interlocuteur à construire des inférences à partir du discours manifeste.

Progressivement, je me suis laissé convaincre que la notion narratologique qui semblait correspondre le mieux à cet effet littéraire qui consiste à retarder l’exposition d’un élément du discours que le lecteur est conduit à attendre ou à anticiper avec impatience était la tension dramatique que, pour éviter des confusions avec la notion de drame, je propose de renommer la tension narrative. Or, cette tension narrative, qui est évoquée dans l’article de Tomachevski sur lequel nous reviendrons, mais également dans les ouvrages sur le récit de Jean-Michel Adam, de Françoise Revaz ou de Bourneuf et Ouellet que vous retrouvez en bibliographie, semble avoir été largement sous-évaluée et presque complètement ignorée par les travaux structuralistes des années soixante et soixante-dix. Il me semble que la raison pour laquelle la tension narrative peut apparaître comme le parent pauvre de l’analyse narratologique peut s’expliquer de plusieurs manières.

D’une part, parce que les œuvres qui exploitent la tension narrative ont généralement été considérées d’emblée comme commerciales et sans valeur, surtout durant la période où la narratologie structuraliste était à son apogée, période qui coïncide avec l’époque durant laquelle le Nouveau Roman ou l’antiroman monopolisait la majeure partie du capital symbolique attribué aux œuvres de fiction dans le champ littéraire français. La réticence de Barthes dans S/Z à prendre en considération la lecture linéaire et l’assimilation, dans Le Plaisir du texte, du suspense à un strip-tease excitant une pulsion voyeuriste adolescente me semblent éloquentes à cet égard. D’autre part, et c’est peut-être le point le plus important, il me semble que la tension narrative était difficile à traiter sans prendre en considération la participation du lecteur ce qui, dans les travaux de narratologie classique, était impossible. Il est intéressant de constater à cet égard que la tendance à été le plus souvent au découplage de la question de la tension (considérée comme un phénomène sémantique isolé, ou comme un effet ponctuel visant à relever l’intérêt du texte) découplage donc de la question de la tension et de celle de la séquence, qui est considérée quant à elle comme une propriété structurale et fondamentale du texte. De la même manière, on a fini par effacer le fait, pourtant évident du point de vue de l’étymologie, que construire une intrigue consistait précisément à intriguer son lecteur et que intrigue et séquence narrative sont de parfaits synonymes.

Comme je l’ai suggéré à plusieurs reprises au cours de cette longue introduction, le fait que la narratologie contemporaine soit contrainte aujourd’hui d’appréhender les structures narratives en les considérant comme des interprétants abstraits par un lecteur à partir de la manifestation linéaire du texte, me pousse à considérer au contraire que la tension narrative, puisqu’elle présuppose justement un jeu sur la coopération textuelle, représente une voie royale pour mieux comprendre comment se structurent les récits. En effet, si nous considérons ces deux sous espèces conventionnelles de la tension narrative que je définirai par la suite comme la curiosité et le suspense, il est facile de saisir comment un effet de tension à la réception d’un récit peut être instrumentalisé pour structurer le discours narratif :

Dans un article que vous trouvez en bibliographie et qui porte sur le suspense au cinéma, Hans Wulff parle d’éléments cataphoriques et anaphoriques du discours. Un exemple de cataphore serait par exemple la présentation d’un requin tueur affamé évoluant dans les environs d’une plage peuplée de baigneurs insouciants, présence qui amène les spectateurs à attendre, généralement avec une certaine inquiétude, une issue qui fonctionne comme un élément anaphorique, par exemple le décès prématuré d’un baigneur qui sert de repas au squale. Mais il faut préciser qu’une telle anaphore est assez fragile, car l’appétit du requin ne peut être comblé que provisoirement. On attend alors, au terme d’une dangereuse expédition, la mise à mort du requin tueur qui servira de clôture finale au récit en rétablissant un équilibre durable.

La tension définit par conséquent les contours d’une intrigue en créant et en résolvant une instabilité qui se manifeste, phénoménologiquement parlant, par une tension, ou une incertitude, provisoirement entretenue dans le processus de la lecture linéaire.

Du point de vue de la coopération textuelle, la différence entre curiosité et suspense peut alors être définie de la manière suivante (vous retrouvez ces définitions sur les polycopiés que je vous ai distribués) :

a) Il y a création d’un « effet de suspense » quand, face à une situation narrative incertaine dont on désire impatiemment connaître l’issue (dans le vocabulaire de Eco on parlerait d’une « disjonction de probabilité » signalée comme importante), il y a retardement stratégique de la réponse par une forme quelconque de réticence textuelle (fin de chapitre ou d’épisode, péripétie, ralentissement de l’action, etc.).

Une question typique que pourrait se poser le lecteur d’un récit structuré par le suspense serait par exemple : « Quelle sera l’issue du conflit ? » ou « Qui va gagner ? » ou « Le héros va-t-il y arriver ? » ou encore « Le requin va-t-il le manger ? »

J’ajouterai une remarque pour signaler une spécificité du suspense « littéraire » : c’est que, dans un récit conversationnel, ainsi que l’a montré Labov, ou dans un fait divers journalistique, il y a généralement un résumé de l’action avant le développement, ce qui s’explique par la nécessité d’éviter la création d’une tension que l’interlocuteur jugerait trop peu coopérative. Imaginons par exemple que nous apprenions qu’un proche a eu un accident de la route et que nous téléphonions à l’hôpital pour prendre de ses nouvelles : je pense que si l’infirmier nous racontait en détail, et dans l’ordre, tous les événements du sauvetage, de l’arrivée aux urgences, de l’anesthésie et de l’opération avant de nous dire si notre proche s’en est finalement sorti sans trop de dommages, nous serions en droit de penser qu’il coopère très mal et que la nature passionnante de son récit ne compense en rien son manque de pertinence. Il me semble par conséquent que le développement linéaire de l’intrigue, sans ce que Genette appellerait une prolepse qui aurait pour effet de désamorcer la tension narrative, n’est jugé acceptable que dans un contexte littéraire, dans lequel il devient même un critère positif, car il relève l’intérêt du discours. Nous voyons également à travers cet exemple que, lorsque le discours colle parfaitement aux événements en adoptant leur chronologie, nous ne sommes pas à une sorte de degré zéro de la représentation de l’action, mais qu’il s’agit bien là, au contraire, d’un travail du discours en vue de créer un effet spécifique : en l’occurrence, de créer du suspense. Le degré zéro de la narration conversationnelle, c’est quand l’efficacité dans l’échange d’information est maximal, c’est à dire quand l’information la plus importante est dévoilée en premier, or cette dernière, dans un récit, porte en général sur l’issue des événements et non sur leurs circonstances. Le degré zéro du récit, c’est donc le récit antichronologique et la chronologie n’est pas le récit sans intrigue, mais bien la mise en intrigue du récit productrice de tension dans l’acte de réception, en l’occurrence, cette tension prenant la forme du suspense.

Nous allons voir maintenant la définition de la seconde modalité de la mise en intrigue qui n’implique pas un développement linéaire de l’action, mais exploite au contraire une énigmatisation de la représentation.

b) Il y a création d’un « effet de curiosité » quand on constate que la représentation de l’action est incomplète par rapport à ce qui est nécessaire au lecteur pour que sa compréhension soit optimale. Quand l’incomplétude du discours s’accompagne de l’attente (par « pacte de lecture ») d’une clarification que fournira le texte après un certain délai, la curiosité produit l’une des modalités principales de la tension narrative. Dans ce cas, il y a également une forme quelconque de retardement stratégique de la réponse.

Une question typique que pourrait se poser le lecteur d’un récit structuré par la curiosité serait par exemple : « Qui est l’assassin ? » ou « Qui l’a fait ? » (le whodunit ? dont parlait Hitchcock dans ses entretiens avec Truffaut) ou « Qu’est-ce qui s’est passé ? » ou encore « Comment en est-on arrivé là ? ». L’existence de cette deuxième modalité de la mise en intrigue met en évidence le fait que la séquence narrative définit bien une séquence du texte, et pas nécessairement une séquence d’action. C’est l’impatience du lecteur de parvenir au dénouement du récit qui crée la tension et structure le texte, et ce dénouement ne recouvre pas nécessairement le dénouement de l’action.

Je chercherai à démontrer à partir de maintenant que cette façon de définir la séquence narrative à partir de tensions d’origines diverses dans le processus de la lecture linéaire n’est pas totalement étrangère aux travaux de Roland Barthes, notamment dans sa fameuse lecture du roman de Balzac Sarrazine, qui offre une esquisse d’une théorie de la lecture des textes littéraire. On retrouve une perspective analogue dans l’ouvrage de Charles Grivel qui porte sur la question de l’intérêt romanesque et dont le corpus, composé de romans populaires de la fin du dix-neuvième siècle, a pour nature de ne pas masquer les enjeux de la mise en intrigue. Je pense que, par ailleurs, cette perspective est au moins implicitement posée dans l’article Thématique de Tomachevski et que, si cet article avait servi de base à l’analyse de la séquentialité du récit, au lieu de la définition de la séquence que donne Propp dans sa Morphologie du conte, on aurait évité certaines confusions fâcheuses. Il me semble que la tendance qui a amené certains narratologues à découpler la question de la séquentialité du récit avec celle de sa mise en intrigue, c’est-à-dire de la configuration des actions par le discours, est particulièrement dommageable. La séquence narrative n’est pas, selon moi, la forme de la structure « profonde », essentialisée ou immanente, de l’action dans son déroulement chronologique et causal, mais elle relève au contraire toujours d’un « effet du discours », et cela, même quand elle est structurée par le suspense, qui implique un développement parallèle de la narration et de l’histoire narrée.

Avant de montrer comment Tomachevski envisage, selon moi, ces deux formes complémentaires de mise en intrigue, j’aimerais dire quelques mots du code herméneutique tel que Barthes le définit dans S/Z et qui me semble illustrer les points déjà soulevés. Empruntant une métaphore musicale, Barthes affirme en effet que la « mélodie » du récit, « ce qui chante, ce qui file, se meut par accidents, arabesques et retards dirigés, le long d’un devenir intelligible », c’est le code herméneutique, c’est-à-dire « la suite des énigmes, leur dévoilement suspendu, leur résolution retardée » (1970 : 32). Face à la grande majorité des travaux narratologiques qui, à la suite de Propp (1970), visent à cerner la structure du récit exclusivement par le biais de « l’action d’un personnage définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue » (Propp 1970 : 31), il me semble que le grand mérite de Barthes a été de souligner l’importance, dans la structuration du récit, non plus seulement du devenir temporel de l’action représentée, mais également du développement de l’énigme, c’est-à-dire des incertitudes du lecteur, textuellement générées, stratégiquement entretenues et finalement résolues par la narration. Ainsi, il soutient que (vous trouvez ce texte dans votre dossier) :

Le code herméneutique, en effet, a une fonction, celle-là même que l’on reconnaît (avec Jakobson) au code poétique : de même que la rime (notamment) structure le poème selon l’attente et le désir du retour, de même les termes herméneutiques structurent l’énigme selon l’attente et le désir de sa résolution. La dynamique du texte (dès lors qu’elle implique une vérité à déchiffrer) est donc paradoxale : c’est une dynamique statique : le problème est de maintenir l’énigme dans le vide initial de sa réponse ; alors que les phrases pressent le « déroulement » de l’histoire et ne peuvent s’empêcher de conduire, de déplacer cette histoire, le code herméneutique exerce une action contraire : il doit disposer dans le flux du discours des retards (chicanes, arrêts, dévoiements) ; sa structure est essentiellement réactive, car il oppose à l’avancée inéluctable du langage un jeu échelonné d’arrêts : c’est, entre la question et la réponse, tout un espace dilatoire, dont l’emblème pourrait être la « réticence », cette figure rhétorique qui interrompt la phrase, la suspend et la dévie. (Barthes 1970 : 75)

Le point le plus important soulevé par Barthes me semble résider dans le fait que la notion de code herméneutique permet de souligner l’importance des effets de lecture dans la structuration séquentielle du récit, tout comme Wulff qui mettait en relation le suspense avec les notion de cataphore et d’anaphore. En effet, ainsi que le précise Barthes, c’est bien parce que les efforts interprétatifs du lecteur se heurtent à la « réticence textuelle » que le code herméneutique « structure » le récit à la manière du code poétique « selon l’attente et le désir du retour ». Le code herméneutique permet donc de faire le lien entre la structuration du texte et sa réception par le lecteur. Ce lien est d’une importance capitale si l’on songe que c’est son absence qui a longtemps constitué le principal reproche adressé aux travaux des narratologues qui considéraient la séquence comme une propriété immanente des textes.

Si le Méfait constitue chez Propp une borne initiale de la séquence du conte merveilleux russe et la Réparation sa borne finale, c’est bien parce que, chez le lecteur, le Méfait provoque l’attente et le désir de la Réparation, et que cette dernière fonction résout et, en quelque sorte, annule la précédente. La « séquence d’action » définie par Propp, si elle n’était pas génératrice de l’attente d’une résolution pour le lecteur, ne serait qu’une succession de fonctions, c’est-à-dire d’événements, qui ne permettraient pas de conférer au texte sa complétude, son unité et sa totalité, qui sont considérées comme les propriétés essentielles de l’intrigue depuis Aristote jusqu’à Ricœur.

On constate en outre, à la lumière du texte de Barthes, que la création de l’attente et de la résolution, qui vise à renforcer l’intérêt du discours et à le structurer pour le lecteur, ne passe pas exclusivement par le développement causal des actions des personnages, mais qu’il peut tout aussi bien se situer au niveau de la recherche d’une cohérence interprétative que le texte refuse de livrer d’emblée. Todorov a bien saisi cette nuance dans sa typologie du roman policier, dans laquelle il souligne l’opposition entre la dynamique narrative du roman noir et celle du roman à énigme classique :

[…] on se rend compte ici qu’il existe deux formes d’intérêt tout à fait différentes. La première peut être appelée la curiosité ; sa marche va de l’effet à la cause : à partir d’un certain effet (un cadavre et certains indices) il faut trouver sa cause (le coupable et ce qui l’a poussé au crime). La deuxième forme est le suspense et on va ici de la cause à l’effet : on nous montre d’abord les causes, les données initiales (des gangsters qui préparent de mauvais coups) et notre intérêt est soutenu par l’attente de ce qui va arriver, c’est-à-dire des effets (cadavres, crimes, accrochages). (Todorov 1971 : 60)

Les remarques de Todorov portent ici sur l’intérêt romanesque, et pas directement sur la question de la séquence narrative, qui a longtemps été considérée du point de vue exclusif du déroulement chronologique et causal de l’action des personnages, mais si la question de l’intérêt et de la séquentialité sont liées, comme le présuppose la notion de code herméneutique définie par Barthes, on voit se dessiner une nouvelle conception opposant deux types distincts de séquences. En réalité, le seul événement qu’il est possible de considérer, au moins dans un premier temps, comme linéaire, c’est l’acte de lecture qui saisit les événements de l’intrigue selon l’ordre choisi par l’auteur. Nous voyons donc, une fois encore, que la distinction entre fable et sujet s’avère nécessaire pour poursuivre cette exploration la structuration séquentielle du discours narratif.

Tomachevski est l’un des premiers auteurs modernes à établir une distinction claire entre l’ordre des événements figurés dans le discours et l’ordre de leur présentation dans l’œuvre, distinction qui rappelle néanmoins, ainsi que l’a suggéré John Pier dans ce séminaire, la triade de la rhétorique classique inventio, dispositio et elocutio. La terminologie en ce domaine varie entre les auteurs : Bremond oppose le raconté au racontant, Todorov l’histoire au discours, Genette l’histoire au récit, ces différentes terminologie trahissant parfois des distinctions plus profondes, avec parfois l’émergence de sous-distinctions débouchant sur des modèles ternaires ou quaternaires. Sur la distinction entre ces différents modèles, je vous renvoie à l’article très complet que John a consacré à cette question (dans la nouvelle collection narratologia ?).

Toujours est-il que Bremond, dans Logique du récit, souligne que toutes les analyses structurales postulent au moins la « distinction entre deux plans de structuration du récit, correspondant, dans la terminologie de Greimas, l’un au niveau immanent des structures narratives, l’autre au niveau apparent des structures linguistiques » (1973 : 102). Pour Bremond, la séquence en triade (déclencheur > passage à l’acte > résultat) relève donc naturellement du niveau immanent des structures narratives, et c’est aussi le cas du programme narratif défini par Greimas comme le parcours conjonctif d’un Sujet en quête d’un Objet, programme narratif qui définit également une séquence du récit. On constate au passage que l’un et l’autre définissent la séquence du point de vue unique du devenir de l’action d’un agent et non de celui d’une tension dans la lecture.

Quoi qu’il en soit, face à la grande hétérogénéité des terminologies ultérieures, il me semble pratique de conserver malgré tout cette distinction binaire ainsi que les termes de fable (ou fabula) et de sujet que propose Tomachevski, car c’est à peu de choses près ceux retenus par Umberto Eco et nous verrons que cette distinction nous servira à souligner les nuances entre l’intrigue configurée par le suspense et l’intrigue configurée par la curiosité. La comparaison entre Tomachevski et Eco nous permettra d’actualiser ces notions en fonction des avancées de la sémiotique textuelle, mais elle fera également apparaître chez Eco certaines divergences dans l’emploi des termes, divergences qui nous semblent réduire la portée originelle des propositions de Tomachevski, notamment au niveau du concept d’intrigue.

Donc, pour Tomachevski, la fable représente « l’ensemble des événements liés entre eux qui nous sont communiqués au cours de l’œuvre » ; elle s’oppose au sujet « qui est bien constitué par les mêmes événements, mais [qui] respecte leur ordre d’apparition dans l’œuvre et la suite des informations qui nous les désignent » (1965 : 268). Tomachevski ajoute en note ce commentaire : « bref, la fable c’est ce qui s’est effectivement passé ; le sujet c’est comment le lecteur en a pris connaissance ». Eco, quant à lui, donne de la fabula la définition suivante :

Tout le cours des événements décrits par le récit peut être résumé par une série de macropropositions – le squelette de l’histoire, que nous appellerons fabula – en établissant ainsi un niveau successif du texte, dérivé de – et non identifiable à – la manifestation linéaire. (1985 : 89)

Plus loin il ajoute :

Après avoir actualisé le niveau discursif, le lecteur est en mesure de synthétiser des portions entières de discours à travers une série de macropropositions. (1985 : 130)

Dans la perspective sémiotique de Eco, la fabula représente donc un interprétant dérivé du texte par le lecteur, il ne s’agit donc plus d’une naïve distinction entre un fond (événementiel) et une forme (agencement de ces événements par le discours) qui poserait la question de la dérivation dans le sens inverse et supposerait une relative autonomie du premier vis-à-vis du second mais bien, du point de vue de la réception, de la mise en évidence d’un lien sémiosique s’inscrivant dans une chaîne potentiellement infinie d’interprétants dont l’origine se trouve dans la « manifestation linéaire » du texte.

Si nous restons dans la perspective de la sémiotique piercéenne, du point de vue de la production du texte, le passage d’une fable imaginée par l’auteur (ou de la construction d’un monde pour Eco ou de l’inventio pour la rhétorique) à l’écriture proprement dite (qui nécessite un agencement des faits plus ou moins libre) n’est pas d’avantage le passage d’un fond à une forme. Il s’agit plutôt de la conversion d’un noyau textuel – qui peut, à un certain niveau d’élaboration, correspondre à la manière dont l’auteur se représente globalement la fable dans son développement chronologique et causal – à un autre texte rendu plus ou moins définitif par le processus éditorial. Le concept d’expansion sémémique utilisé par Eco désigne donc ce processus dynamique, potentiellement illimité, de la chaîne des interprétants qui ne prend fin, du côté de la production du texte littéraire, qu’au moment ou le texte est publié, cette chaîne reprenant son cours, au moment de sa réception, dans la conscience des lecteurs, qui ne cessent de poursuivre l’interprétation de l’œuvre dans des directions plus ou moins déterminées par le texte.

Ce qu’il s’agit de définir, ce sont les propriétés de cet interprétant particulier (la fable ou fabula) qui représente, selon Eco : « le schéma fondamental de la narration, la logique des actions et la syntaxe des personnages, le cours des événements ordonnés temporellement » (1985 : 130). Ce niveau successif du texte, que l’on peut rattacher à la capacité cognitive des lecteurs de produire des résumés de narrations et de mémoriser des récits, dépend essentiellement de compétences encyclopédiques que l’on suppose très largement partagées. Eco, sur la base d’études menées dans le cadre des recherches en psychologie cognitive, affirme que « les tests empiriques sur les capacités moyennes de résumer un texte nous disent que la construction des macropropositions se manifeste comme statistiquement homogène » (1985 : 142). Le fait que la communication littéraire, malgré les inévitables « conflits d’interprétation », soit néanmoins possible (Barthes dirait que le texte est au moins partiellement lisible), le fait que les œuvres, en dépit des inévitables imprécisions que cela entraîne, soient globalement traduisibles d’une langue à une autre ou d’un système sémiotique à un autre, que des liens entre diverses variantes d’une même fable (Le Petit Chaperon rouge dans ses versions de Grimm et de Perrault par exemple) puissent occasionnellement être perçus, nous indique que ce stade particulier du processus interprétatif (en soi illimité) qui correspond grossièrement à la compréhension de l’action figurée dans son déroulement chronologique et causal, n’est généralement pas aussi relatif qu’il a pu paraître.

J’ai donc redéfini à la suite d’Eco le concept de fable comme un interprétant dérivé du texte, dont les contours sont relativement bien définis en fonction des compétences fondamentales partagées entre auteurs et lecteurs sur la sémantique de l’action. A ce niveau, Tomachevski introduit une notion qui définit, au niveau de la fable, une forme de configuration supplémentaire qui se superpose au simple déroulement chronologique et causal des événements, ou motifs, et qui permet d’en saisir l’unité : « le développement de l’action, » précise-t-il, « l’ensemble des motifs qui le caractérisent s’appelle une intrigue » (1965 : 273). La composition de l’intrigue fait intervenir de nouveaux concepts tels que nœuds, péripéties et dénouement, qui se superposent aux motifs pour définir les grandes lignes de leur développement :

L’ensemble des motifs qui violent l’immobilité de la situation initiale et qui entament l’action s’appelle le nœud. Habituellement le nœud détermine tout le déroulement de la fable et l’intrigue se réduit aux variations des motifs principaux introduits par le nœud. Ces variations s’appellent des péripéties (le passage d’une situation à une autre). (Tomachevski 1965 : 274)

On pourrait dire en termes linguistiques qu’au niveau de la fable, les motifs définissent un lexique et l’intrigue une syntaxe. D’emblée, l’intrigue est associée également à la sémantique du conflit :

Le développement de l’intrigue (ou dans le cas d’un groupement complexe des personnages, le développement des intrigues parallèles) amène soit la disparition du conflit, soit la création de nouveaux conflits. Habituellement la fin de la fable est représentée par une situation où les conflits sont supprimés et les intérêts sont réconciliés. (Tomachevski 1965 : 273)

Le conflit est un type d’action qui convient en effet particulièrement bien pour mettre en évidence la manière dont on peut appréhender l’unité de la fable par le biais d’une sémantique de l’action : il possède la propriété de définir une situation interactive instable, qui suscite l’attente chez le lecteur d’un résultat, dont l’issue peut sembler incertaine, mais dont le terme apparaît inévitable.

La situation de conflit suscite un mouvement dramatique parce qu’une coexistence prolongée de deux principes opposés n’est pas possible et que l’un des deux devra l’emporter. Au contraire, la situation de « réconciliation » n’entraîne pas un nouveau mouvement, n’éveille pas l’attente du lecteur ; c’est pourquoi une telle situation apparaît dans le final et elle s’appelle dénouement. (Tomachevski 1965 : 273-274)

Je souligne au passage le fait que, tout comme Barthes pour le code herméneutique, Tomachevski conçoit d’emblée l’intrigue dans son rapport avec les attentes du lecteur. Il précise en effet que si la résolution du conflit correspond au dénouement de l’intrigue, c’est parce que la situation de réconciliation « n’éveille pas l’attente du lecteur ». Par ailleurs, la décision de caractériser le développement de l’intrigue par les différentes étapes marquant l’évolution d’un conflit n’est pas idéologiquement innocente pour Tomachevski : elle dépend de l’arrière-plan marxiste de son analyse formelle, ainsi que le révèle l’homologie qu’il relève entre le matérialisme dialectique de l’histoire (qui met en scène la lutte des classes) et le contenu de la fable (qui met en scène la lutte entre les personnages) :

On peut caractériser le développement de la fable comme le passage d’une situation à une autre, chaque situation étant caractérisée par le conflit des intérêts, par la lutte entre les personnages. Le développement dialectique de la fable est analogue au développement du processus social et historique qui présente chaque nouveau stade historique comme le résultat du conflit des classes sociales au stade précédent et en même temps comme le champ où se heurtent les intérêts des groupes sociaux constituant le régime social du moment. (Tomachevski 1965 : 273)

Cette appréhension de l’action narrative par la thématique du conflit n’est pas propre seulement à l’approche marxiste de Tomachevski. On retrouve cette tendance dans les analyses de Charles Grivel (1973) sur la production de l’intérêt romanesque qui met en relation le conflit (ou la lutte) avec la négativité du malheur. Pour Grivel en effet :

Il n’y a de récit que de l’échec – du conflit – de la lutte, le malheur est le dicible. (Grivel 1973 : 206)

Plus loin il ajoute :

Que le roman soit drame, constitution puis réduction de l’obstacle, que cet obstacle soit représenté par un acte personnel de l’agent (négatif) signifie que le roman donne nécessairement le conflit en spectacle (il y a conflit pour qu’il y ait malheur). (Grivel 1973 : 211)

Pour Grivel, la thématique du conflit ne se justifie pas par une fonctionnalité romanesque qui consisterait à éclairer les conflits sociaux sous-jacents, mais uniquement par la nécessité de produire un discours intéressant, pour lui, le malheur est le « dicible ». Au contraire, sous le couvert du « démenti » qu’illustre la lutte ou le conflit, le roman (au moins dans le corpus étudié qui se situe entre 1870 et 1880) viendrait en fait confirmer l’état idéologique, c’est-à-dire « l’image élaborée par la classe dominante et généralisée par elle pour dérober l’état de fait ».  Il considère donc qu’il « est faux de déclarer que le roman reflète ou réfracte les rapports conflictuels présents dans la société » (1973 : 226). Quelle que soit la signification idéologique du conflit, nous retiendrons le fait que ce dernier représente en tout cas une interaction qui possède la double propriété de renforcer l’intérêt du discours narratif tout en définissant les contours de l’intrigue par son instabilité éphémère.

Pour ma part, je ne pense pas que la production de l’intérêt romanesque et la configuration de l’intrigue dépendent uniquement de la narration d’actions de type conflictuel. Pour Greimas, par exemple, le programme narratif se résume plutôt sur la base d’une quête. Toute transgression d’une routine, par l’instabilité qu’elle produit, peut servir d’embrayage à une narration, car nous sommes poussés à nous interroger sur la manière dont l’équilibre sera rétabli. Cela n’implique nullement que cette transgression soit nécessairement malheureuse ou qu’elle débouche automatiquement sur un conflit : cela peut être le fait de gagner à la loterie par exemple ou, dans un conte, de se voir proposer la réalisation d’un vœu. Pour le courant cognitiviste, la théorie du schéma insiste sur la fonction structurante de l’action intentionnelle incertaine et planifiée, et non uniquement sur la dynamique conflictuelle : un but difficile à atteindre peut suffire à produire une attente chez le lecteur, qui est amené à se demander si le but sera finalement atteint ou si l’agent échouera dans sa tentative.

Il s’agit donc, somme toute, d’interpréter la notion de conflit comme un cas particulier illustrant un type d’actions susceptibles de se développer en intrigue et de produire une certaine tension à la lecture. Pour Tomachevski, la « tension dramatique » est une notion qui se rattache directement à la configuration de la fable par une intrigue, les conflits entre les personnages servant une nouvelle fois à illustrer ce trait du récit :

Plus les conflits qui caractérisent la situation sont complexes et plus les intérêts des personnages opposés, plus la situation est tendue. La tension dramatique s’accroît au fur et à mesure que le renversement de la situation approche. Cette tension est obtenue habituellement par la préparation de ce renversement. Ainsi dans le roman d’aventure stéréotypé les adversaires qui veulent la mort du héros ont toujours le dessus. Mais à la dernière minute, quant cette mort devient imminente, le héros est soudain libéré et les machinations s’écroulent. La tension augmente grâce à la préparation. […] La tension arrive à son point culminant avant le dénouement. Ce point culminant est habituellement désigné par le mot allemand Spannung. (Tomachevski 1965 : 274)

Une fois encore, nous voyons que l’intrigue et la tension dramatique sont des concepts que Tomachevski situe sur un même plan, celui de la fable, elles configurent les relations entre les personnages dans leur évolution chronologique et causale. La tension dramatique est illustrée ici par une incertitude concernant le destin d’un héros combattant des adversaires, elle culmine quand sa victoire paraît la plus improbable, juste avant le dénouement du conflit. Dans la suite de son article, Tomachevski va cependant s’intéresser également aux relations plus ou moins coopératives qu’entretiennent l’auteur et son lecteur en examinant la manière dont se structure le sujet.

En mettant en évidence les diverses formes de distorsions pouvant intervenir entre l’ordre des événements qui composent la fable et leur présentation par le sujet, Tomachevski suggère l’existence d’une deuxième forme de structuration du récit qui tient compte de la « disposition du matériau narratif » et oppose cette fois début et final, ces différents moments du texte ne recoupant pas nécessairement la structuration de la fable en nœud et dénouement  :

Du point de vue de la disposition du matériau narratif, le commencement de la narration s’appelle début, la fin final. Le début peut ne contenir ni l’exposition ni le nœud. De la même manière, le final peut ne pas coïncider avec le dénouement. (1965 : 275, note 1)

Tomachevski relève à ce niveau d’analyse les débuts ex abrupto qui retardent l’exposition de l’état initial et du nœud, différents effets d’inversions temporelles (Vorgeschichte et Nachgeschichte), ainsi que la possibilité de voir un « ensemble complexe de secrets » entraver la compréhension des actions représentées, ces diverses « figures discursives » qui seront reprises plus tard par Genette (1972 ; 1983) sous les termes de prolepses, d’analepses, de paralipse, etc. Ce développement de l’article de Tomachevski démontre l’intérêt du formaliste pour les questions qui relèvent directement du roman en tant que discours, et non uniquement de la forme de l’histoire narrée (la fable), comme ce fut le cas de Propp et d’une partie des narratologues structuralistes après lui. Cette différence est fondamentale, car elle évite de gommer un niveau supplémentaire de structuration du récit.

A travers les exemples de distorsion relevés par Tomachevski entre la forme des événements narrés et celle de leur présentation discursive, nous voyons progressivement s’esquisser une nouvelle forme de structuration du récit qui met en avant le travail du lecteur pour recomposer l’enchaînement chronologique et causal des événements relatés et le jeu complexe d’énigmes et de secrets que le texte oppose à ses efforts :

Mais parfois, après avoir décrit un événement que nous ne savons pas situer dans le schéma général, l’auteur l’explique […] par une exposition, c’est-à-dire un récit sur ce qui a été déjà raconté. Cette transposition de l’exposition représente un cas particulier de déformation temporelle dans le déroulement de la fable. […] Ce retard de l’exposition peut se prolonger jusqu’à la fin de l’exposé : tout au long du récit le lecteur est maintenu dans l’ignorance de certains détails, nécessaires à la compréhension de l’action […] Cette circonstance ignorée nous est communiquée dans le dénouement. Le dénouement qui inclut des éléments de l’exposition et qui est comme l’éclairage en retour de toutes les péripéties connues depuis l’exposé précédent, s’appelle dénouement régressif. (Tomachevski 1965 : 275-276)

Tomachevski précise donc que l’auteur peut décrire « un événement que nous ne savons pas situer dans le schéma général » et que le lecteur est « maintenu dans l’ignorance de certains détails, nécessaires à la compréhension de l’action ». La « transposition » ou le « retard » de l’exposition, en débouchant sur un  « dénouement régressif », semblent dès lors structurer le récit selon une logique rétrospective qui n’est plus celle du développement dramatique et incertain d’une action, mais d’une énigme suscitant la curiosité du lecteur, et dont la solution serait fournie par cette exposition retardée. Pour exprimer le travail du texte visant à retarder l’exposition, Tomachevski fait appelle à la notion de secret :

Ce retard de l’exposition est habituellement introduit comme un ensemble complexe de secrets. […] Ces secrets peuvent dominer la narration entière ou n’embrasser que certains motifs. (Tomachevski 1965 : 276)

Si les « ressources du secret » mettent l’accent sur les moyens textuels mis à contribution pour « tenir en haleine » le lecteur, il faut en revanche parler d’énigme, ou de curiosité, si l’on se place du point de vue de la réception, de l’effet produit. Ce rôle fondamental que joue l’énigme dans la production de l’intérêt romanesque a été commenté par Charles Grivel :

Le récit est énigme. Il se constitue comme dérangement de la communication de l’information seconde : le démenti n’intéresse qu’énigmatisé. Le lecteur assiste au brouillage du drame, il est placé devant un événement, un comportement, etc. dont le sens lui échappe et dont les conséquences lui demeurent cachées. […] Le démenti suppose l’énigme, n’est opérant qu’en tant qu’énigme. L’innovation, en effet, n’est intéressante que dans la mesure ou elle est rendue « mystérieuse » : une information non probable n’est en soi ni intéressante, ni étonnante. […] Autrement dit, la rupture de l’ordre archétypal n’est efficace (c’est-à-dire produit le désir de lire et retient le lecteur à sa lecture) qu’à partir du moment où elle ouvre obscurément sur cet ordre même. (Grivel 1973 : 261-262)

Nous ajouterons pour notre part le fait que l’énigme, en suscitant un questionnement chez le lecteur, contient également la promesse d’une réponse, du moins quand le contrat de lecture du récit en question présuppose une fabula « fermée » (Eco 1985 : 153-155) dans laquelle le lecteur est en droit de supposer que ses hypothèses pourront être textuellement vérifiées ou infirmées. En d’autres termes, l’énigme constitue la borne initiale d’une « séquence » du texte assimilable au « nœud » de la fable, la séquence à laquelle elle donne lieu exprimant non plus la totalité et l’unité d’une action, mais celles d’un discours. Pour souligner cette fonction structurante de l’« énigme » et du « dénouement régressif » et pour la mettre en parallèle avec la configuration de la fable, je prendrai la liberté de parler de mise en intrigue du sujet. L’usage du concept d’intrigue appliqué au sujet n’est peut-être pas aussi aventureux qu’il n’y paraît : en effet, Eco va jusqu’à substituer le terme d’intrigue à celui de sujet pour illustrer les deux niveaux de structuration du récit mis en évidence par Tomachevski. Dans les Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, Eco s’exprime clairement sur ce point :

il est bon de rappeler un thème fondamental de toutes les théories modernes de la narrativité, ce que les Formalistes russes appelaient la différence entre fabula et sjuzšet et que nous traduirons par fabula et intrigue (1996 : 39).

Il nous semble malgré tout que Eco perd dans cette traduction le sens original que Tomachevski réservait au terme intrigue. Il est beaucoup plus productif de conserver les termes originaux de fable et de sujet, et de réserver à celui d’intrigue, le sens d’une configuration permettant de structurer aussi bien les événements relatés que leur présentation qui peut être provisoirement énigmatisée. Lorsque Eco assimile l’intrigue au sujet, il réduit le rôle de la « mise en intrigue » à la substitution d’une ordre linéaire (celui de l’histoire racontée) par un autre (celui du récit racontant). Il s’agit au contraire de souligner cette opération de médiation assurée par la mise en intrigue, qui ajoute à la linéarité du texte ou à celle des événements racontés par le texte certaines propriétés telles que la plupart des lecteurs sont capables d’évaluer la complétude d’un récit à un moment quelconque de son déroulement.

Précisons encore que, pour Eco, l’ordre de présentation des événements, qu’il désigne par l’intrigue et qui correspondrait au sujet dans la terminologie de Tomachevski n’est pas exactement identifiable à l’expression discursive, qui relève selon lui d’un troisième niveau :

Fabula et intrigue ne sont pas une question de langage. Ce sont des structures presque toujours traduisibles en un autre système sémiotique, et je peux d’ailleurs raconter la même fabula que l’Odyssée, organisée selon la même intrigue, au moyen d’une paraphrase linguistique, […] ou bien par un film ou une B.D., car même ces deux systèmes sémiotiques comportent des signaux d’analepse. […] Dans un texte narratif, l’intrigue peut manquer, mais jamais la fabula et le discours : la fabula du Petit Chaperon Rouge est parvenue jusqu’à nous par des discours divers, celui de Grimm, de Perrault, ou de notre mère. (Eco 1996 : 42)

Pour ma part, je ne vois pas l’intérêt qu’il peut y avoir à distinguer entre sujet et discours, puisque l’ordre linéaire du sujet est, par définition, celui du texte. Dans l’exemple cité par Eco, on dirait simplement que les différents discours envisagés (poème épique, bande dessinée, film, paraphrase, versions d’un conte) présentent des événements fictifs apparentés dans un ordre semblable.

Conserver l’identité entre sujet et expression discursive de la situation narrative, c’est permettre d’intégrer à ce niveau d’analyse – comme le fait d’ailleurs Tomachevski – le retardement de l’exposition et de dénouement régressif, c’est-à-dire la question la clarté provisoirement réduite du discours narratif, et pas seulement les effets de prolepse et d’analepse. Il me semble d’ailleurs, que la fonction pragmatique fondamentale des prolepses et des analepses consiste précisément à produire chez le lecteur de la curiosité, un brouillage relatif ou un éclaircissement retardé de la fable, fonctions qui s’intègrent à une stratégie globale de mise en intrigue du discours par l’énigme. Dans son analyse de Sylvie, que l’on trouve dans les Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, Eco souligne d’ailleurs « l’effet de brume » qui résulte de l’enchevêtrement complexe des prolepses et des analepses qui caractérise le roman de Nerval (1996 : 38). En l’occurrence, la spécificité de ce discours romanesque, c’est de laisser le soin au spécialiste de recomposer une fabula cohérente, et de ne pas chercher à dissiper au terme de l’œuvre (par un dénouement régressif) ce brouillard qui vise un effet plus troublant que structurant.

On peut essayer de résumer synthétiquement les nombreuses propositions de Tomachevski que je viens d’évoquer concernant la forme de la fable, du sujet et de l’intrigue. C’est ce que j’ai essayé de faire dans le tableau que vous trouvez dans le polycopié que je vous ai distribué et que je vais rapidement commenter :

Mise en intrigue de la fable :
(par configuration des événements selon la logique du « conflit »)

Situation initiale

Nœud

Péripéties

Dénouement

Situation finale

Tension dramatique

Crée l’attente du terme d’une (inter)action « instable ».

La tension augmente à mesure que diminue la probabilité que l’issue souhaitée soit atteinte.

Réduction de la tension : situation de « réconciliation ».

Présentation de la fable sans « mise en intrigue du sujet »

Début

Exposition directe

Final

Les événements sont présentés selon leur déroulement chronologique,
avec clarté et complétude en fonction des connaissances du lecteur.

Mise en intrigue du sujet :
(par distorsion de l’ordre d’exposition des événements ou diminution de leur clarté)

Début

Exposition énigmatique ou retardée (question)

Retardement de l’exposition
(secrets)

Dénouement régressif
(réponse)

Final

Tension interprétative

Le lecteur est maintenu dans l’ignorance de certains détails nécessaires à sa compréhension de l’action qui se déroule ou s’est déroulée, ce qui suscite sa curiosité.

Le texte fournit un éclairage en retour sur les événements ignorés ou énigmatiques.

Ce tableau est approximatif, car il souffre de la méthode d’exposition de Tomachevski, qui introduit dans un court article un nombre considérable de concepts sans toujours clarifier leurs appellations et désigner avec précision leur situation par rapport à l’ensemble des notions présentées. Pour le compléter, je n’ai pas seulement ajouté de concept de « mise en intrigue du sujet », mais j’ai également pris la liberté d’introduire la notion de « tension interprétative » pour souligner ce cas particulier dans lequel une certaine configuration du sujet provoque une incertitude dans la lecture : l’attente d’une explication concernant des événements présentés incomplètement ou de manière énigmatique. Cette incertitude produit un effet « tensif » similaire, mais non identique à celui qui dérive d’une situation « dramatique » (de conflit par exemple) qui repose sur l’attente plus ou moins angoissée de l’issue d’un événement. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit bien d’une tension fondée sur une anticipation du texte teintée d’incertitude, mais la « tension dramatique » ne relève pas uniquement d’une stratégie discursive portant sur la livraison de l’information : elle est en quelque sorte d’abord inhérente aux événements racontés en tant que situations (inter)actives incertaines dont la tension est pré-codée à des degrés divers dans l’encyclopédie du lecteur. Dans ce dernier cas, ce qui relève à proprement parler d’un effet du discours narratif consiste en la diminution intentionnelle de la coopération entre narrateur et lecteur, qui ne vise plus une efficacité maximale dans l’échange d’information, ce qui se manifeste au niveau des structures textuelles, ainsi que je l’ai déjà dit, par l’absence d’un résumé synthétique de l’action au début du texte, qui neutraliserait par avance la tension inhérente au développement progressif du récit.

L’une et l’autre de ces « mises en intrigue » relèvent donc de stratégies narratives différentes reposant soit sur la sélection d’événements instables (éventuellement de type conflictuels) mis en scène de manière claire, mais progressive, soit sur un obscurcissement volontaire de la représentation produisant un effet de curiosité. Il convient de remarquer que les situations narratives dans lesquels le sujet épouse fidèlement l’ordre de la fable sont relativement fréquents : Tomachevski signale ainsi que « dans le cas le plus simple, […] nous avons affaire à une exposition directe » (1965 : 275). Eco mentionne lui aussi « des récits appelés formes simples, tels que les fables, où l’on a seulement la fabula. Le Petit Chaperon Rouge est de ceux-là : il commence avec la fillette qui sort de la maison pour s’aventurer dans le bois. Et finit avec la mort du loup et le retour de la fillette chez elle » (1996 : 41). Le fait que, dans l’univers des contes merveilleux, le « retardement de l’exposition » représente un cas relativement rare explique probablement la raison pour laquelle Propp ne s’est intéressé qu’à la séquentialité de la fable et non à celle du sujet. Si, au contraire, il avait travaillé sur un corpus d’histoire drôles, de devinettes ou de romans policiers, il aurait probablement été conduit à rechercher sa définition de la séquence narrative du côté des jeux sur la livraison de l’information.

On peut supposer que la place prépondérante donnée par les analyses narratologiques à la définition proppienne de la séquence narrative a eu pour conséquence de laisser dans l’ombre cette autre forme de structuration du récit esquissée par Tomachevski qui implique une mise en intrigue du sujet. Cette séquentialité me semble pourtant d’une importance capitale dans l’économie du discours narratif, surtout quand la fable est moins « dramatique », quand le récit s’éloigne du « roman d’aventure stéréotypé » dominé par la sémantique du « conflit » entre bons et méchants. Il me semble possible de poser l’hypothèse que, dans les cas où les événements racontés sont peu « dramatiques », la mise en intrigue du sujet peut occasionnellement prendre le relais pour soutenir l’intérêt du discours narratif et pour le structurer.

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