La règle de la chronologie: poétique biblique et théorie narrative

 

par Meir Sternberg

La narration dans l’ordre chronologique souffre depuis longtemps de mauvaise réputation : il s’agirait d’une méthode de disposition inférieure, qu’on la considère dans ses effets artistiques ou dans sa simple viabilité. S’appuyant sur la pra¬tique d’Homère et sur la tragédie grecque, la Poétique d’Aristote range ainsi l’intrigue « simple », qui enchaîne (dans l’ordre) début, milieu et fin, en dessous de l’intrigue « complexe », avec ses découvertes et ses retournements inattendus. Et si Aristote n’a pas rattaché de manière explicite la forme et l’effet artistiques au déplacement temporel, ses successeurs n’ont pas manqué de le faire. La théorie littéraire de la Renaissance et celle de l’âge néoclassique ont ainsi érigé en doctrine l’opposition entre ordre « naturel » ou « historique » et ordre « poétique » ; dans ce dernier, le saut in medias res est devenu un trait distinctif du récit épique et même de toute narration proprement littéraire. Les formalistes russes — suivis par leur nombreuse descendance et par leurs émules contemporains — font de même, en mettant en jeu une distinction encore plus sophistiquée : la fabula (la séquence des événements dans l’ordre dans lequel ils se sont produits) bien ordonnée à la base de l’œuvre doit passer par un processus de mise en désordre pour figurer dans le produit fini qu’est le sujet (la séquence des événements dans l’ordre dans lequel ils sont présentés), et ceci au profit d’une esthétique de l’« étrangeté ». Dans une autre perspective, Joseph Frank et ses collègues ont célébré le déplacement propre au modernisme, qui ferait passer la forme narrative du temps à l’espace par le biais de dés-arrangements analogues1 . La recherche biblique témoigne de l’influence de ces écoles. Dans un chœur complexe de voix, des exégètes illustrant la critique traditionnelle des sources et habités par un idéal plutôt vague — aristotélicien ou autre — de l’intégrité (du « tout ») de l’œuvre côtoient des exégètes engagés dans l’analyse littéraire, infectés par la rage moderne contre la temporalité au nom de la forme spatiale ou, plus souvent encore, au nom de rien du tout.

Bien sûr, quiconque a réfléchi aux phénomènes de struc¬ture et d’interprétation narratives n’ira pas le nier : c’est en produisant un sens chronologique qu’un récit est producteur de sens en tant que récit. Car si les événements qui le composent ne s’organisent pas sur une ligne du temps (aussi problématique que soit leur séquence et aussi attractive que soit une forme différente d’arrangement), la narrativité elle-même disparaît. Le passage de « ce qui vient avant » à « ce qui vient après » n’est pas seulement l’ordre de la nature, il est aussi l’ordre de la causalité, et donc de la cohérence propre à l’intrigue. Lorsqu’elle est rendue dans l’ordre chronologique, la séquence des événements se laisse appréhender dans sa suite ; intelligible et mémorable, elle est bel et bien chrono-logique. Mais à tel point, diront les voix critiques auxquelles je viens de faire allusion, qu’elle est alors trop apparentée à la manière dont les événements se produisent dans le monde : elle serait trop mimétique et transparente pour relever encore de l’art. Pour mériter le titre d’art, la chronologie devrait subir une déformation dans la narration et être ensuite reformée ou reconstituée de manière progressive par le lecteur, dans un processus d’essais et d’erreurs, avec les retards, les retournements et les surprises ménagés en cours de route, voire même des poches d’obscurité et d’ambiguïté persistant jusqu’à la fin.

À la lumière de ce fiat généralisé, que devons-nous penser de la Bible ? Et à la lumière de la pratique biblique, qui présente assurément un précédent de poids, que dire alors de la théorie narrative ? En cas de conflit, l’une ou l’autre devra céder le pas. Car la séquence chronologique constitue l’épine dorsale des livres narratifs de la Bible, leur principe organisateur le plus saillant et le plus continu. Elle y figure non pas comme une ligne du temps que nous reconstruirions à partir du « désordre » du discours afin d’élucider le sens des événements, ne serait-ce que de manière rétrospective, mais comme une construction manifeste que nous rencontrons tout au long du parcours : un déploiement des événements allant de l’« avant » à l’« après », et de la cause à l’effet. Ainsi, pour la Bible, communiquer, c’est conférer à la surface elle-même — au récit — une forme chronologique, autant qu’à la séquence des événements racontés, et non d’abord déchronologiser dans la narration ce qui doit ensuite être (re)chronologisé dans l’interprétation. La contrainte univer¬selle (d’ordonner les choses dans leur séquence chronologique et causale) qui opère dans l’acte de lire une histoire est sans doute souvent mise à l’épreuve ailleurs, et de manière prolongée (ou même de manière définitive dans des formes récentes de récit); elle fonctionne ici comme une règle de la narration. Globalement, moyennant certaines conditions et certaines marges intégrées au système, l’ordre de la présentation dans le texte biblique suit l’ordre de survenance des choses dans le monde biblique.

En ceci, la Bible se démarque de la tradition de la narration « dans le désordre » à grande échelle, inaugurée par Homère qui, dans l’Iliade et l’Odyssée, plonge son lecteur in medias res, et élevée depuis comme l’un des procédés consacrés d’arrangement artistique. Y a-t-il en effet quelque chose de plus ab ovo que de commencer par le commencement même du monde, et donc du temps, et d’ailleurs par le mot même de « commencement » (bereshit) ? Qu’est-ce qui pourrait faire (et annoncer) une suite plus ordonnée que la marche de la création à partir du premier jour jusqu’au sommet qu’est le sixième, suivi du septième, avec son sens d’arrêt et de repos, de complétude et de clôture ? Commencement, milieu et fin — chacun de ces moments trouve sa place et sa valeur dans ce paradigme de l’ordre. Les livres qui vont de la Genèse aux livres des Rois, et qui participent d’une même conception du récit (story) comme histoire (history) divine, prolongent en effet ce précédent, chacun en lui-même et tous ensemble dans leur succession canonique. Leur diversité quant au contenu — de l’ère primordiale à l’ère commune, de ce qui est achevé à ce qui est en cours ou encore suspendu, de la création de la nature par Dieu à son engagement au sein de l’humanité et de la culture, du contrôle affiché au contrôle caché qu’il exerce sur le cours des choses, de la ligne simple à la ligne multiple de l’action — n’affecte pas leur adhésion de principe au modèle originel. Dans une correspondance significative, le maître du discours biblique marche sur les traces du Seigneur de la réalité biblique, comme si le narrateur, dans sa manière de raconter, devait guetter le signal de Dieu dans sa manière de faire progresser l’intrigue. Même les désordres provoqués et éprouvés par les personnages se déroulent narrativement « dans l’ordre » ; et même si elles ont pu avoir une configuration différente, les opérations du temps demeurent pour l’ensemble disposées et racontées de manière linéaire et progressive.

En raison des fondements et des préjugés des différentes approches de la Bible, il n’est pas vraiment étonnant de voir cette pratique d’arrangement mise en question ou dénigrée (ou encore les deux à la fois) par des voix qui vont de la critique des sources aux échos des dernières modes théoriques. L’étonnant est plutôt que le principe lui-même ait été nié, et notamment par la tradition rabbinique qui, il y a deux mille ans, a établi parmi les principes gouvernant l’exégèse une règle tout à l’opposé : « Il n’y a pas d’avant-et-après dans la Torah », ont énoncé les sages dans une directive d’interprétation. (Ils se réfèrent évidemment à l’ordre de narration de la Torah et non pas, Dieu nous en garde, à la possibilité de remanier la séquence historique des événements racontés.) Un émule contemporain de ces sages va jusqu’à opposer l’insensibilité à l’égard de la chronologie dont témoignerait la littérature israélite en tant qu’« orientale » et sa centralité dans l’écriture « grecque et moderne2 ». On peut se demander d’où proviennent de telles généralisations, quels sont les intérêts exégétiques qu’elles poursuivent et quelles sont les pressions qu’elles traduisent, puisque le moindre coup d’œil sur Homère suffit pour établir qu’en l’occurrence, le contraste opère plutôt en sens inverse.

Mais la Bible se démarque également de la tradition littéraire de l’Orient ancien dans sa manière d’adopter de manière affichée la norme de la chronologie linéaire tout en s’en écartant secrètement, en se dotant ainsi d’un paradoxal double standard. La Bible en effet met en œuvre des stratégies opposées en distinguant les niveaux au sein de sa composition : la mise en ordre qui s’observe à l’intérieur des récits individuels (jusqu’au niveau des épisodes) s’y distingue de celle qui s’observe à l’échelle du récit d’ensemble (dans ses cycles, ses livres et l’histoire canonique); en d’autres mots, une norme distincte oppose blocs et architectonique d’ensemble, ou encore micro- et macro-intrigue.

Cette poétique de distinction interne, propre à la Bible, représente une nouveauté historique ; elle concerne également un point de grand intérêt théorique. Au sein d’un agencement séquentiel, quel est le rapport de la partie (le syntagme, la phrase, la scène, l’épisode ou toute autre unité composée de sous-unités linéaires) au tout ? Quelles sont les relations entre l’ordre temporel au niveau local et au niveau global, au niveau tactique et au niveau stratégique ?

Le plus souvent, ces relations sont celles de l’homologie, pour ou contre l’ordre chronologique. Si l’option est anti-chronolo¬gique, que ce soit à la manière de Fielding, Sterne, Dostoïevski, James ou des romans policiers, la narration « dans le désordre » s’observe dans toutes les séries d’événements et aux niveaux les plus divers. Des unités telles que le livre, la phase, le chapitre, l’échange de paroles, voire même la phrase, emprunteront des tours et des détours temporels pour générer curiosité, surprise, suspense et susciter de la part du lecteur des hypothèses prospectives et rétrospectives à l’intérieur de leurs propres limites, en accord avec l’élan général du récit. À l’autre bout du spectre, l’homologie chronologique fait jouer à tous les niveaux du récit des options d’ordre et de clarté, et non d’ambiguïté. Ce type de concordance remonte aussi haut que les récits de l’Orient ancien, comme par exemple « La descente d’Inanna dans les Enfers » en sumérien, L’Épopée de Gilgamesh en akkadien, « L’histoire des deux frères » en égyptien, ou « La légende du roi Kéret » en ougaritique3. Mais cette option est aussi la règle de l’écriture historiographique à travers les âges, où l’histoire d’une bataille et celle de la guerre dans laquelle elle prend place seront racontées l’une et l’autre en respectant l’ordre des événements. Que l’homologie soit chrono¬logique ou anti-chronologique, la partie reproduit le tout en miniature dans une même stratégie de forme et d’effet linéaire.

Loin de faire jouer invariablement ou même nécessairement une telle homologie, la partie et le tout peuvent aussi mettre en conflit les logiques entre niveaux de narration. Des options d’arrangement divergeant à l’extrême se rencontrent alors, verticalement, au sein du même discours. Un tel choix, opérant selon deux logiques distinctes, est à l’évidence plus exigeant dans sa mise en œuvre et, de fait, moins commun ; l’effet créé par une telle polarité est dès lors d’autant plus remarquable. Qu’on songe, dans la modernité, au roman du « courant de pensée » (stream of consciousness). Les parties sont embrouillées, hors de toute continuité, en raison des sauts opaques de l’esprit par voie d’association, tandis que le tout est conservé dans le cadre extérieur ordonné qu’est la chronologie d’une unique journée : la divergence des logiques pourrait difficilement aller plus loin que dans l’Ulysse de Joyce. Et c’est sur le principe d’un tel contraste que la Bible a opéré il y a deux millénaires et demi, à travers une combinaison de fins et de moyens pour le moins différents, puisqu’elle allie la « déchronologisation » à l’échelle locale à la chronologie à grande échelle.

Les épisodes individuels mettent en œuvre un art de la déformation temporelle, riche et subtil, que je me suis attaché à caractériser dans mon ouvrage The Poetics of Biblical Narrative4.

L’intérêt narratif et, avec lui, la dynamique du sens et de l’effet y sont maintenus en vie par des discontinuités, tant provisoires que permanentes. L’épisode manipule souvent la curiosité en omettant perceptiblement, à l’endroit « naturel », l’un ou l’autre lien dans la chronologie ; il engage de la sorte le lecteur dans un travail d’hypothèses conjecturelles, quitte à combler ensuite l’ellipse rétrospectivement, ou à ne pas la combler du tout. Qu’on considère ainsi le silence du narrateur à propos des motivations d’Ève lorsqu’elle mange le fruit défendu, son silence au sujet des intentions d’Éhoud vis-à-vis d’Églon, ou encore son silence à propos de ce que sait ou ne sait pas Urie. La narration de l’épisode peut également opter pour des tactiques de surprise. Ainsi en est-il en Genèse 20, où la démonstration d’innocence, en elle-même plausible, d’Abimélek à l’égard de Sara s’interrompt soudainement, et avec un bel effet d’ironie. Dieu, apprenons-nous en dernière minute, est en fait intervenu dès le début de l’affaire, frappant le roi d’impuissance : Sara ayant été rendue indemne à son mari, « Dieu guérit Abimélek et sa femme et ses servantes afin qu’elles puissent avoir des enfants. En effet, le Seigneur avait fermé tout sein de la maison d’Abimélek à cause de Sara » (Gn 20,17-18). Dans un cas comme dans l’autre, des ellipses narratives portant sur les événements ou les personnages se trouvent comblées, et ce qui était resté obscur est éclairci après coup, pour autant que ce soit l’option choisie par le narrateur.

Mais dès que les histoires d’Abimélek, d’Éhoud ou d’Urie sont perçues non plus comme un tout en soi mais comme la partie d’un tout constitué à un niveau plus élevé — le plus clairement, au niveau du livre — le tableau compositionnel change au point de présenter une forme de dualité. Car la mise en séquence linéaire des épisodes, toute complexe qu’elle soit, met en jeu peu de chose des retards, des dislocations, des renversements et moins encore des élisions perceptibles auxquels les épisodes soumettent leurs propres composants. Et tandis que les blocs narratifs font de tels désordres leur spécialisation, leur construction en séquence demeure de part en part chronologiquement ordonnée : de l’antérieur à l’ultérieur, de la promesse à l’accomplissement, de la naissance à la mort, du père au fils, de l’histoire primordiale à l’histoire patriarcale, et de celle-ci à l’histoire nationale, du temps de l’esclavage à l’exode, la traversée du désert, la conquête, le temps des juges, la monarchie et l’exil. Ce qui vient à la suite dans le temps de la lecture vient également à la suite dans le temps du monde ; et plus grande ou étendue est l’unité, plus prononcé également est le changement des rapports entre partie et tout, qui passe ainsi d’une licence en matière de discontinuité à la règle de continuité.

À la surface du récit, ce principe trouve son expression dans le langage biblique du temps. Dans la Bible, l’agencement demeure constamment paratactique, quel que soit le niveau ; mais plus les unités agencées sont grandes, plus « articulées » se trouvent alors les implications de la mise en ordre narratif, en deçà et au-delà de la parataxe. En plus de la série des verbes coordonnés intervient ainsi une diversité d’expressions temporelles de transition. Les plus communs de ces marqueurs annoncent sans plus une succession (« alors », « après ces choses », mais rarement « avant ces choses ») ou spécifient un intervalle (« après x jours/années »). D’autres situent un événement par rapport à un antécédent bien connu, notamment un point de repère tel le déluge, l’exode ou l’accession d’un roi sur le trône. D’autres encore construisent la ligne du temps non en ordonnant les épisodes les uns par rapport aux autres, mais en plaçant chacun à l’intérieur d’un arc de référence qui couvre l’ensemble, par exemple le cycle d’une journée (Gn 18,1–19,1), la vie du héros (1 R 1,1–2,1), l’ensemble de la route d’un voyage (l’itinéraire en Exode et en Nombres5). Quelle que soit la forme empruntée, tous ces indicateurs articulent la correspondance entre progression textuelle et progression temporelle, souterraine (ou même rompue) sous une coordination réduite au minimum.

La distribution des indices temporels, verbaux ou autres, donne un tel relief à la règle de la chronologie que nous devons la faire valoir à propos du mouvement narratif d’ensemble (à tout le moins dans une hypothèse d’arrangement) même lorsque de tels indices sont absents. Le lecteur peut en fait rencontrer des indications contraires, que ce soit des indices de simultanéité (« dans ce temps-là ») ou encore la datation minutieuse qui accompagne et contrôle les déplacements temporels dans l’ouverture du livre des Nombres (1,1–7,1–9,1–9,15–10,11). C’est à partir de ces décrochages dans l’ordre temporel, comme on pouvait s’y attendre, que les rabbins ont tiré (ou puisé un appui pour) le principe d’interprétation « Il n’y a pas d’avant-et¬après dans la Torah ». Mais de toute évidence le soin pris par le livre des Nombres à les marquer et à les afficher se combine avec leur caractère exceptionnel pour démontrer le contraire. L’absence de signal spécifique doit donc compter comme une invitation à intégrer les éléments paratactiques au sein de la chronologie en cours — même lorsque leur inscription dans la séquence narrative, sans parler de l’intrigue, n’est pas immédiatement apparente ou particulièrement attrayante.
Un exemple significatif est fourni par la transition de 1 Samuel 8 à 9 :

19 Le peuple refusa d’écouter la voix de Samuel, et dit : « Non, mais c’est un roi que nous aurons sur nous, 20 et nous serons, nous aussi, comme toutes les autres nations, et notre roi nous jugera et il sortira à notre tête pour combattre nos combats. » 21 Samuel écouta toutes les paroles du peuple et les dit aux oreilles du Seigneur. 22 Et le Seigneur dit à Samuel : « Écoute leurs voix et donne-leur un roi. » Alors Samuel dit au peuple d’Israël : « Allez, chaque homme dans sa ville. »
1 Il y avait un homme de Benjamin, dont le nom était Qish, fils d’Abiel, fils de Tseror, fils de Bekorath, fils d’Afiah, un Benjaminite et un homme de valeur.  2 Il avait un fils dont le nom était Saül, un beau jeune homme. Personne parmi les fils d’Israël n’était plus beau que lui ; depuis les épaules, il était plus grand que quiconque dans le peuple. 3 Les ânesses de Qish, le père de Saül, s’étaient égarées, et Qish dit à son fils Saül : « Prends donc avec toi l’un des jeunes servants et pars à la recherche des ânesses. » (8,19–9,3)

Le chapitre 8 se termine sur l’insistance des Israélites à voir s’établir une monarchie, malgré l’effrayante mise en garde formulée par Samuel, ainsi que sur l’ordre que leur donne le prophète — « Allez, chaque homme dans sa ville » —, congédiement dans lequel il faut sans doute entendre comme le grognement d’un consentement. Mais au lieu d’accompagner Samuel dans sa tâche de faiseur-de-roi récalcitrant, le chapitre suivant nous fait passer à de nouveaux personnages, Qish et Saül, engagés dans des occupations — la recherche d’ânesses perdues — qui n’ont aucun ancrage dans le temps ni aucune relation apparente avec ce qui précède. Les deux épisodes sont-ils en concurrence ou en séquence ? Sont-ils le lieu d’une juxtaposition assez libre ou d’un enchaînement rectiligne, quoique elliptique, de cause à effet ? Cette question chrono-logique est d’importance, car elle appelle une réponse qui concerne plus que l’agencement du temps lui-même. Et je pense ici non seulement à la préhistoire génétique du texte — l’ellipse dans le discours a été attribuée, il fallait s’y attendre, à une distinction de sources — mais aussi à la structure poétique du sens qui sous-tend le récit dans sa forme donnée.

Agencer ou reconstruire la séquence des deux chapitres comme une séquence causale, c’est mettre en relief un prophète peu pressé de passer à l’action, comme il l’est depuis que le peuple réclame un roi pour le remplacer, lui et ses fils corrompus. Samuel a fait obs¬truction au long du chapitre 8 ; il se trouve à présent confronté à l’ordre direct de « leur faire un roi ». Mais il a tout l’air de se débarrasser de l’assemblée avec des paroles de congédiement ambiguës et de faire durer le jeu pour Dieu seul sait combien de temps. Dieu lui-même doit donc non seulement annoncer mais aussi mettre en œuvre l’initiative décisive, afin de répondre au souhait du peuple. En intervenant depuis les coulisses, il force la main du prophète en conduisant jusqu’à sa maison le jeune homme inconnu. Ce qui a l’aspect d’une pure coïncidence — entre la royauté et la recherche des ânesses, quel lien ? —, pour qui entend la succession des chapitres 8 et 9 comme une forme de simultanéité ou de juxtaposition, rend un tout autre son lorsque ce passage est lu comme une succession temporelle : derrière les apparences de la coïncidence se laisse à présent reconnaître la manière caractéristique de Dieu dans son ordonnancement du cours des choses, synchronisation et le reste inclus. Plus la relation, causale ainsi que temporelle, est serrée, plus grandes sont les conséquences au niveau de l’intrigue, de la caractérisation des personnages, de la thématique et du jugement moral.

Comment s’articule donc le lien entre les épisodes ? Comment repérer dans le monde du récit ce qui se donne à lire dans la succession textuelle ? Hors du contexte poétique des Écritures, dans un roman du XIXe siècle par exemple, la succession de deux chapitres sans aucune passerelle suggérerait une mise en intrigue parallèle — c’est-à-dire un rapport de simultanéité plutôt que de successivité, et encore moins de causalité ; la stratégie y serait celle du retardement plutôt que de la progression, et il serait hors de propos d’en attendre la résolution d’une question en suspens (ici, celle de la royauté). Dans nos deux chapitres bibliques, certains liens subtils, tapis sous la surface du texte, signalent qu’il en va bien différemment ; le lecteur serait toutefois capable de passer outre et de méconnaître ces signaux et leurs implications si la règle de continuité inhérente à la Bible n’exerçait une pression sur lui. C’est le cas de la description de l’aspect physique sans pareil de Saül, dans une double référence au peuple des fils d’Israël : « Personne parmi les fils d’Israël n’était plus beau que lui […] plus grand que quiconque dans le peuple. » C’est le cas aussi de la manière qu’a Saül de combiner en sa personne des traits de grandeur et de petitesse. En effet, il dépasse tout le monde en taille mais est il se range aussi sous la plupart, étant issu de la plus petite des tribus (« de Benjamin… Benjaminite » ; cf. 9,21). Ce dernier élément est par ailleurs un indice de bon augure dans la logique biblique et divine de l’élection inversée. Il en va de même de l’asymétrie entre les fils héritiers du prophète, vénaux et repoussés (8,1-5), et le fils engageant et obéissant de Qish ; l’asymétrie en question se combine à une symétrie plus discrète, mais néanmoins insistante : Samuel est introduit de manière similaire via la généalogie de son père (1,1 et suiv.). Ou encore : le retour du peuple chacun vers sa ville en clôture du chapitre 8 et le départ de Saül de la sienne dans une nouvelle quête au début du chapitre 9. Chacun de ces liens projette implicitement des analogies dans la chronologie, des relations troublantes d’équivalence dans la séquence de l’intrigue, et la singularité de Saül (physique, tribale, actionnelle, formelle) dans la royauté qui approche. Mais quel est le poids interprétatif de ces indices ?

Ce n’est que graduellement, en entretenant l’étonnement et le suspense, que le récit donne suite aux suggestions premières, et noue ensemble le fil national et le fil personnel. Vient d’abord la mention d’un « homme de Dieu » en résidence, puis son identification comme « Samuel », et finalement l’ordre donné par Dieu à Samuel d’oindre Saül : la règle poétique et notre lecture à sa lumière trouvent ainsi leur justification dans le drame. Oui, les chapitres contigus font suite et s’enchaînent — le prophète a été obstructionniste jusqu’au bout, et Dieu a été le régisseur caché des développements. Et, oui, le narrateur est demeuré lui aussi, jusque dans son silence, maître des choses et cohérent dans son propre domaine. Nous faisant osciller entre mouvement linéaire et mouvement parallèle, il a tiré profit des deux au long d’un parcours tortueux et dilatoire, pour nous faire aboutir à une convergence dans l’alignement rétrospectif des deux chapitres. Peu importe le temps qu’il aura fallu pour que le lien se révèle, la succession des deux épisodes se vérifie dans le temps-du¬monde comme dans le temps-du-texte, dans l’histoire racontée comme dans l’histoire écrite et lue.

Il en va de même pour de nombreux autres épisodes en série — y compris ceux dont des critiques d’obédiences diverses soutiennent qu’ils ont été laissés dans un ordre incertain ou, plus encore, inversé ou embrouillé, au cours du processus d’écriture, et qui demanderaient d’être réordonnés dans leur juste chrono¬logie au cours du processus de lecture. Notre reconstruction des événements devrait, pour ainsi dire, sauver le récit biblique de sa propre (et aberrante) construction. Un exemple en la matière se trouve dans la séquence qui s’étend depuis Genèse 24 (Rébecca est courtisée au nom d’Isaac) jusqu’à Genèse 25,1-6 (Abraham prend Qetura comme femme pour fonder une nouvelle famille). Telles qu’elles se donnent à lire, les deux histoires de mariage, ainsi que certains ont objecté, peuvent difficilement entrer dans une chronologie linéaire : Abraham serait alors trop âgé pour procréer encore6. Comment pourrait-il engendrer une demi-douzaine d’enfants alors qu’il est âgé de pas moins de cent quarante ans, Isaac ayant été conçu en sa centième année (21,5) et ayant épousé Rébecca à l’âge de quarante ans (25,20) ? Pour que l’ordre des événements s’accorde avec l’ordre naturel des choses, dès lors, les mariages doivent échanger leur place dans l’histoire : d’abord celui du père, ensuite celui du fils.

Malheureusement, un tel réarrangement a des conséquences ultérieures. La cohabitation d’Abraham avec Qetura doit alors être resituée du vivant de Sara — situation dont on se tire d’embarras en assignant l’affaire à une source (P?) autre que celle du conte de Rébecca (J? J+E?), et en taxant le dernier rédacteur d’incompétence. Cette réaction en chaîne est un prix bien élevé à payer pour un ajustement des propriétés séquentielles au profit des propriétés sexuelles — ou de l’idée que le critique peut s’en faire. Et ceci d’autant plus que l’essentiel de l’histoire se joue dans l’exemption du patriarche, par grâce divine, de tels calculs humains. Inverser la séquence, au nom de probabilités basées dans la nature ou la culture, serait inverser la logique dominante qui la sous-tend, ainsi que son effet : la puissance sexuelle dépend de la toute-puissance de Dieu, et la procréation du Créateur. Dans une ironie révélatrice, le pragmatisme étroit des commentateurs depuis le midrash remet en mémoire un précédent au sein même du monde du récit biblique. Ce type de pragmatisme a en effet été anticipé dans le peu de foi et le réalisme mal placé dont ont fait preuve Abraham et Sara eux-mêmes quelque quarante ans plus tôt : ils ont ri chacun à son tour (« Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? », puis « Mon mari est âgé ») lors de la promesse d’un fils faite par Dieu (17,15-21 ; 18,9-15) et ont été pareillement confondus par la tournure subséquente des événements. Des deux paires de nouveaux époux, il est approprié que ce soit le père âgé de cent quarante ans que Dieu bénisse en premier, plutôt que le fils âgé de quarante ans, en lui accordant des enfants, et ce dans un intervalle temporel mesuré en décades (25,20.26). À juger par ce comble d’incongruité dans la séquence, il semble bien que le narrateur a envisagé (pour ne pas dire provoqué) une réaction sceptique du lecteur — en ayant eu sa déconfiture en vue.

De la surprise initiale au coup final, notre trouble vis-à-vis de notre sentiment du convenable est indéniable, mais la composition narrative nous invite à référer ce trouble au ciel, et non pas à le ramener sur terre. En effet, l’agencement a en propre de souligner une chronologie et une analogie étranges, au service d’une idéologie déterminée. L’ordre narratif, l’ordre des événements et l’ordre du monde — avec Dieu comme régisseur — sont tous hiérarchiquement ordonnés, reflétant chacun l’ordre qui lui est supérieur, au profit de leur cohérence interne et de leur impact conjoint.

Les exemples qu’on vient d’examiner soulèvent des questions plus grandes encore en ceci qu’ils vont à l’encontre du préjugé tenace contre la règle elle-même. Que ce soit dans une perspective fonctionnelle ou artistique, ils établissent une correspondance entre unités constitutives épisodiques et sous-épisodiques qui à leur tour s’accordent avec la rage théorique persistante d’imposer une mise en désordre de la séquence des événements dans la narration de manière à confier sa remise en ordre à l’interprétation. C’est précisément contre cette tyrannie d’une « chronologie uniquement (ou au plus) par voie de reconstruction » que s’inscrit en faux la règle biblique de construction à grande échelle, avec pour effet de révéler le côté dogmatique, arbitraire et confus de l’axiome lui-même. Au-delà de ses revendications intrinsèques en matière d’intérêt et de nouveauté, le cas de la Bible devrait inviter à penser à nouveaux frais la narration chrono¬logique, dans ses moyens et ses fins, ses limites et ses latitudes, et notamment dans ses ressources propres en matière de manipulations temporelles derrière la façade du refus de l’artifice. À ce point, j’introduirai, en style télégraphique, certains des principes qu’il s’agira de voir à l’œuvre au long de l’argument.
Le premier d’entre eux est le parti pris de la Bible pour la flèche du temps, qui découle d’un ensemble de finalités stratégiques : historique, idéologique, artistique proprement dite, ainsi que du schéma rhétorique ou communicatif destiné à les mener à bon port. Quel que soit leur élan particulier, toutes ces téléologies concourent au même but, conjoignant leurs énergies réciproques dans la grande chronologie, tant et si bien que ce n’est qu’au moment de l’analyse que nous sommes capables de les démêler. Les effets et les exigences locales peuvent varier, au point d’imposer une inversion des stratégies temporelles d’une étape à l’autre. (Ainsi en est-il du déplacement des moyens temporels, même au profit d’une fin relativement uniforme ; par exemple le sentiment d’étonnement dans les récits de l’onction de Saül et dans l’histoire du remariage d’Abraham.) Mais cette alliance d’orientations stratégiques demeure pour l’ensemble constante, comme le sont les raisons fondamentales qui la gouvernent.

Edward Gibbon disait que l’esprit prend un plus grand plaisir à progresser de la cause à l’effet que de régresser de l’effet vers la cause. Mais sa généralisation est celle de l’historien, marié par profession à l’ordre naturel. Les partisans littéraires du désordre seront de leur côté bien sûr enclins à imposer l’échelle inverse. Voilà qui suggère que le mouvement dans l’une ou l’autre direction temporelle — progressive ou régressive — est toujours associé au plaisir qui lui est propre, ainsi qu’à son rôle et à sa logique propres. Les deux directions, avec leurs buts respectifs, ne se réduisent pas non plus à une polarité générique, sauf en ce qui concerne leurs latitudes. Si la fiction peut opter, comme elle le fait bien souvent, en faveur du mouvement linéaire — un fait que les théoriciens du récit sont enclins à oublier, à dédaigner, voire même à nier — l’historiographie doit, en principe, se tenir à une telle linéarité en raison même de son objet. Quels que soient ses mérites dans la narration des histoires (story telling), la progression allant de l’antérieur au postérieur et de l’origine au résultat demeure la norme de la narration de l’histoire (history telling), puisqu’elle mime l’ordre supposé des choses et l’ordre de causalité inhérent à la réalité. Étant donnée la prétention à la vérité (truth claim) propre à la Bible, l’ordre chronologique s’impose comme seule stratégie effective d’agencement. Peu importe si l’histoire qu’elle raconte soit empiriquement réelle ou simplement réaliste, historique ou simili-historique, la narration de cette histoire doit accorder les moyens qu’elle prend à la finalité générique qu’elle poursuit.

Ceci est d’autant plus vrai si on considère la variété et l’ampleur des enjeux idéologiques de la Bible en matière de progression linéaire. Car ce qui est en jeu n’est rien moins que le fondement du monothéisme israélite : la nouvelle doctrine des origines, cause première incluse ; la maîtrise divine, selon un dessein particulier, des développements de la nature et de la société, avec une sollicitude particulière envers Israël ; le relâchement de la toute-puissance divine au profit de l’humanité, libre dès lors de mettre en œuvre ses choix et responsable de leurs conséquences ; la critique d’une conception du temps comme cyclique et réversible, dont le mythe de l’éternel retour est le paradigme à travers le monde païen7; bref, tout ce qui fait le sens du monde. Pour le meilleur ou pour le pire, ce sens imprègne encore les consciences aujourd’hui. Il ne l’est pas nécessairement en tant que conception religieuse — bien que pour les croyants il est depuis l’origine un article de foi — mais comme image de la réalité, un modèle avec lequel (ou « contre » lequel) il est possible de se représenter le monde. La chose est sans doute peu évidente, mais ce modèle doit sa puissance et sa persistance à un style particulier d’écriture autant qu’à un corpus d’Écritures, à une manière au cœur de la matière. Pourquoi faut-il faire un tel effort même de nos jours pour imaginer Dieu autrement qu’en créateur, premier moteur ou tout-puissant, pour séparer l’humanité ou la moralité du problème de la liberté, pour ramener le mouvement du temps à celui d’une circularité — sans parler de ses fluctuations saisonnières et immuables, selon la manière de l’esprit mythologique dans son innocence au regard de l’histoire ? Nul doute qu’il s’agit là d’un legs de la révolution biblique, et que cette révolution dépend pour une grande part de la mise en relief non seulement de nouvelles causes et de nouveaux effets, ou encore de leur interaction, mais également de leur enchaînement linéaire, irréversible, régi par une forme de loi, sous la garde de Dieu.

L’image du monde incorporée dans l’histoire va dès lors de pair avec l’émergence de l’historiographie. Chacun de ces ordres fusionne avec l’autre : l’ordre représenté (« la vie réelle ») fusionne avec le processus communicationnel, la mémoire et la signification de ce qui s’est passé au fil du temps avec l’art de le rapporter dans la séquence appropriée. La Bible peut ici servir de « leçon de choses » à la théorie littéraire, qui paie un lourd tribut pour son aveuglement à l’histoire dans l’un et l’autre sens. Tout comme l’opinion qui fait de la narration dans l’ordre chronologique une option « facile » parce que naturelle, la tendance à privilégier la fiction par rapport à la narration historique trahit une pensée anachronique et étroite. Pour les modernes que nous sommes, un effort supplémentaire d’imagination historique semble requis pour pouvoir apprécier la nouveauté et le défi qu’a représenté le projet israélite de l’écriture de l’histoire, ou même sa conception comme intrigue prolongée — un projet né à une époque où ce que nous tenons aujourd’hui pour acquis en matière de convention narrative élémentaire devait encore, pour l’essentiel, s’élaborer par voie d’expérimentation et d’invention. Dans son contexte artisti¬que comme dans son contexte idéologique, la ligne du temps construite par la Bible est loin d’être celle de la moindre résistance.

Pour cette raison, l’ensemble formé par les trois téléologies jusqu’ici esquissées — esthétique, idéologique et historiographique8 — recoupe l’entreprise de la rhétorique. Que le discours doive se faire comprendre sous peine de rendre vain tout l’effort est particulièrement vrai quand une nouvelle idéologie se glisse dans le tissu narratif. Et c’est encore plus vrai quand cette idéologie est celle d’une histoire fondatrice. Dans une culture — celle d’Israël — qui se définit par son histoire, passée, présente et à venir, le récit de l’histoire doit ainsi se rendre intelligible à chaque membre du public israélite, « hommes et femmes et petits enfants et celui qui séjourne dans tes portes » (Dt 31,11-12 ; cf. Jos 8,34-34 ; Né 8). D’où la consigne que j’appelle la « composition à toute épreuve » (foolproof composition), qui laisse sa marque à chaque choix fait par le récit biblique sur le plan stratégique. Cet impératif renforce l’exigence d’un agencement chronologique, précisément parce qu’il est le plus ordonné, et donc à la fois le plus apparemment « transparent » et le plus accessible. La question de l’ordre narratif est tout à fait différente lorsqu’elle est une forme d’assurance en vue d’une inclusion maximale d’auditeurs et de lecteurs, et lorsqu’elle procède d’une insensibilité en la matière, ou même (à en juger par certains manifestes modernes) d’une conspiration en vue de l’exclusion du plus grand nombre pour le bonheur d’une minorité. Mais comment le récit pourrait-il privilégier les élus quand c’est tout le peuple auquel elle s’adresse qui a été élu ? Le sens biblique de l’inclusion voudra dès lors que les lecteurs moins à même de comprendre la finesse de la structure ou du détail puissent néanmoins comprendre l’enchaînement des causes et des effets ; et que ceux qui ne sont pas capables d’élucider cet enchaînement puissent à tout le moins suivre et se souvenir de la ligne narrative ; les « happy few », quant à eux, ne manqueront pas de lire sous la ligne, et entre les lignes.

Car bien des choses s’y donnent à lire. Que la Bible prétende à la simplicité et prenne les moyens de cette simplicité, ne la rend pas simpliste pour autant, mais lui permet de cacher d’autant mieux son jeu. Car sa « composition à toute épreuve » pousse à l’extrême l’écart entre une lecture minimale et une lecture maximale. Et elle l’a fait de façon très efficace, s’il faut en juger par l’histoire de l’interprétation. Ainsi, loin de réclamer de notre part des concessions spéciales à l’égard de ses exigences — doctrinale, rhétorique, artistique — la Bible met à jour nos propres pré-conceptions en matière d’histoire et de structure littéraires.

Un cas majeur en la matière est celui de la relation de l’agencement temporel à l’agencement spatial. On entend souvent dire que la forme spatiale est une invention du modernisme, dérivant de son idéal d’organisation et de perception simultanées, selon des équivalences entre les mots, entre les choses, et entre les mots et les choses. En fait, la Bible déploie déjà toute une gamme de formations similaires : liens selon la ressemblance ou selon le contraste, analogies thématiques, dramatiques ou verbales, comparaisons manifestes ou allusions intertextuelles, micro-échos ou répétitions et orchestration à grande échelle. Même si on tient compte de l’universalité de ce principe d’équivalence — fait qui attend encore une juste reconnaissance —, sa mise en œuvre magistrale et diversifiée dans les écrits anciens de la Bible hébraïque est un phénomène remarquable, qui fait date dans l’histoire de la littérature, modernisme inclus.

Un slogan connexe veut qu’agencement temporel et agencement spatial militent l’un contre l’autre, au point de s’exclure mutuellement, le premier se centrant sur la séquence des événements, le second sur des schémas de signification au-delà de la séquence. La Bible cependant congédie une telle alternative ; sa composition la rend inopérante, dans son principe comme dans l’échelle des valeurs qui lui est associée. En déployant son histoire le long de l’axe du temps afin que chacun puisse enregistrer les choses et démêler l’intrigue au mieux de ses capacités, le récit biblique jette secrètement des ponts par-dessus le temps à la manière d’un commentaire continu (en forme d’interprétation, d’élargissement et de jugement) sur le cours de l’histoire. Comment, dès lors, séparer un principe de l’autre dans la composition finie ? Et pourquoi attribuer à l’aspect séquentiel une valeur basse voire même négative eu égard au supra-séquentiel ? Un exemple aussi modeste que l’épisode de Qetura suffit pour le suggérer, illustrant l’une des multiples manières qui permettent à la chronologie (la puissance sexuelle d’Abraham à un âge avancé) et à l’analogie (l’opposition à Isaac bien plus jeune mais sans enfant) non seulement de cohabiter mais d’œuvrer ensemble9.

Finalement, au regard du temps lui-même, la composition de la Bible n’est pas aussi simple qu’elle ne le laisse apparaître. Une première raison a déjà été évoquée, en l’occurrence la différence entre temporalité stratégique et épisodique (ou, d’une manière ou d’une autre, à petite échelle), qui veut que les manipulations et les effets refusés au niveau chronologique plus élevé s’exercent librement (ou presque) au niveau inférieur. Cette auto-division verticale permet au récit de tirer profit des deux déploiements, qui ne se déroulent pas parallèlement mais conjointement (l’un à l’intérieur de l’autre, en tant que partie et tout) au long du continuum textuel. Et ceci rend évident que l’ordre observé au niveau de la macro-temporalité, autant que le désordre installé à l’intérieur de ses composantes, ont été introduits à dessein, et non pour suppléer aux besoins de l’art par voie d’emprunt ou d’héritage. L’art lui-même se pratique aux deux niveaux, et d’une manière systématique, elle-même sans précédent. De plus, étant donnés les enjeux téléologiques de la grande chronologie, il est exclu que les deux possibilités théoriques, promues partenaires, échangent leurs places. L’attribution à chacune d’un niveau respectif est en parfait accord avec le principe conducteur de l’ensemble. Car plus petite est l’unité, moins cruciale est la déformation de ses éléments, aussi longtemps que l’intrigue et l’orientation d’ensemble sont conservées. Ou encore, en termes de communication, plus petite est l’unité déformée, plus acceptable est le dialogue avec le lecteur perspicace derrière le dos du lecteur commun ou minimal.

La subtilité de la composition biblique au-delà de son apparente simplicité est liée à une deuxième raison, cette fois au niveau stratégique lui-même, c’est-à-dire de la narration à grande échelle. C’est une chose de déplacer l’intégralité d’un épisode matériel, sans parler de son élision, en rendant impossible toute récupération interprétative ; c’en est une autre d’occulter ou de rendre ambigus les liens de causalité entre les épisodes qui se suivent dans la séquence linéaire du canon, ou encore entre les personnages, les destinées et les événements. S’agissant de cette dernière forme de silence, qui peut s’observer au niveau du dessein d’ensemble ou de ses blocs constitutifs, il n’y a qu’à se souvenir de l’ellipse multifonctionnelle, provisoire mais décisive, lors de la transition entre 1 Samuel 8 et 9 ; ou du silence maintenu par le narrateur à propos de l’ordre du monde (sous la garde de Dieu) se trouvant derrière l’ordre étrange des mariages d’Isaac et d’Abraham. Remarquons aussi que les figures stratégiques (Joseph, Moïse, Saül, David, Achab), transposées à travers des épisodes en séries voire même de livres, croissent (et non diminuent) en complexité et en mystère au fur et à mesure du déroulement du récit de leur vie. Ce fait est attribuable non à l’absence d’une scène-clé ou l’autre dans la chronologie, mais à l’absence d’une clé magique don¬nant accès au personnage dans la psychologie propre à la Bible.

La troisième contre-manœuvre est à la fois la plus intéressante et la plus instructive car elle concerne les marges de manœuvre, les failles, les latitudes parmi les convenances de l’agencement chronologique proprement dit. Comment manœuvrer dans les limites de la règle ? Comment poursuivre des fins non chro¬nologiques, voire même non temporelles, sans devenir pour autant anti-chronologique ? Comment combiner les avantages d’arrangements différents, sinon opposés, pour en tirer un effet maximum ? Comment, pour parler en termes de défi artistique, « danser dans des chaînes » ? Puisque cette souplesse dans la contrainte intègre et informe chacun des points introduits jusqu’ici et met en avant le jeu d’ensemble entre surface et profondeur, c’est autour d’elle que je construirai la suite de l’argument.

 

 

 

 

 

1 Pour les références et la discussion critique, voir mon essai Expositional Modes and Temporal Ordering in Fiction, Baltimore et Londres, Johns Hopkins University Press, 1978 (réédition : Bloomington, Indiana University Press, 1993); voir également « Time and Reader », dans Ellen SPOLSKY (éd.), The Uses of Adversity : Failure and Accommodation in Reader Response, Lewisburg, Pa., Bucknell Univer¬sity Press, 1989 ; et « Telling in Time (I) : Chronology and Narrative Theory », dans Poetics Today, 11, 1990, pp. 901-948 (réédité dans Narrative Theory. Critical Concepts in Literary and Cultural Studies. Volume II. Special Topics, M. Bal [éd.], Londres, Routledge, 2004, pp. 93-137); « Telling in Time (II) : Chronology, Teleology, Narrativity », dans Poetics Today, 13, 1992, pp. 463-541 ; « Telling in Time (III) : Chronology, Estrangement, and Stories of Literary History », dans Poetics Today, 27, 2006, pp. 125-235. Voir aussi les notes 6 (p. 19) et 9 (pp. 26-27) ci-dessous.

2 Ainsi Umberto CASSUTO dans A Commentary of the Book of Exodus, Jérusalem, Magnes Press, 1952, pp. 54-55 et 129-130.

3 Voir James B. PRITCHARD (éd.), Ancient Near Eastern Texts, Princeton, Princeton University Press, 1969, pp. 52-57, 72-99, 23-25, 142-149 respectivement. En français, voir notamment L’Épopée de Gilgamesh, introduction, traduction et notes par Raymond Jacques Tournay et Aaron Shaffer, Paris, Cerf (coll. Littérature ancienne du Proche-Orient, n° 15), 1994 ; « Le Conte des deux frères », trad. François Schuler, Paris, José Corti (coll. Merveilleux, n° 5), 1999 ; « La légende du roi Keret », dans Textes ougaritiques. Tome I : Mythes et légendes, introduction, traduction et notes par André Caquot, Maurice Sznycer et Andrée Herdner, Paris, Cerf (coll. Littérature ancienne du Proche-Orient, n° 1), 1974, pp. 481-574.

4 Meir STERNBERG, The Poetics of Biblical Narrative : Ideological Literature and the Drama of Reading, Bloomington, Indiana University Press, 1985, particulièrement les chapitres 6 à 13. Ce phénomène s’illustre également au niveau d’unités plus petites encore (jusqu’au syntagme ou même aux mots en coordination), et donc dans des phénomènes de parallélisme plus ou moins formel ou d’apparence désordon¬née. Pour une théorie générale du dynamisme à ce niveau — les forces de mise en séquence et les schémas opérant sous la coordination des mots — voir mes études « Ordering the Unordered : Time, Space, and Descriptive Coherence », dans Yale French Studies, 61, 1981, pp. 60-88, et « Deictic Sequence : World, Language and Convention », dans Gisa RAUH (éd.), Essays on Deixis, Tübingen, Gunter Narr, 1983, pp. 277-316, qui intègrent l’une et l’autre du matériel biblique. De ces deux essais, je puis uniquement extrapoler ici, en vue de références et de comparaisons futures, l’ensemble des mécanismes linéaires à la disposition de la Bible, et opérant sous sa surface : les mécanismes chrono-logique, hiérarchique, de perspective, et déictique. Tous ces mécanismes sont dynamiques au sens où ils convertissent et resserrent des équivalences non ordonnées en séquences ordonnées, mais en conservant chacun sa propre logique. Le mécanisme chrono-logique projette une série d’éléments (noms, adjectifs ainsi que verbes) dans le temps, de manière à déployer une ligne d’événements ou même, là où la causalité fait également signe, des intrigues en miniature. Les autres mécanismes, quant à eux, œuvrent à travers et souvent contre la chronologie, leur dynamisme miniature n’étant en rien moins subtil que celui de l’épisode mais plus implicite et plus varié. Le mécanisme hiérarchique assimile ainsi des séries coordonnées dans une échelle d’un type ou l’autre, que ce soit en ordre ascendant (1 S 22,9.13), en ordre descendant (1 S 15,9), ou en combinant les deux (Gn 12,1). Le mécanisme de perspective transforme une coordination verbale donnée en ordre d’expérience, de perception ou de découverte par un sujet (ainsi Jg 4,22 dans son rapport au verset 21). Et le mécanisme déictique confère un sens linéaire à des membres parallèles par appel à un ordre de référence lié à une situation : en première, deuxième ou troisième personne (ainsi 1 R 1,12.21). Pour d’autres exemples et une discussion critique, voir également l’index de The Poetics of Biblical Narrative, sous l’entrée « order », ainsi que celui de mon essai Hebrews Between Cultures : Group Portraits and National Literature, Bloomington, Indiana University Press, 1998, sous l’entrée «sequence ».

5 Pour davantage de détails, jalonnés de conclusions quelque peu hâtives, voir Gershon BRIN, « Studies in Biblical Phrases Indicating Time », dans Morde-chai A. FREIDMAN et Moshe GIL (éds), Te‘udah IV, Tel Aviv University, University Publishing Project, 1986, pp. 37-54. Il y aurait toutefois à approfondir le sujet en l’approchant dans le cadre de la poétique et de la microlinguistique ainsi que dans un cadre comparatiste. Il conviendra même de se demander quelle est la part des problèmes notoires de la chronologie de la Bible qui dérive de son positionnement relatif des événements en séquence continue, la part qui dépend de sa propre datation des événements, notamment dans les récits étendus, et la part qui relève des efforts des chercheurs de confirmer ou d’infirmer la datation interne par référence à des témoins indépendants, souvent étrangers dans tous les sens. Il est significatif, par exemple, que la première, et la moins problématique, des ressources évoquées constitue l’élément de base de la chronologie, qu’elle soit à grande ou à petite échelle, ou encore à échelle miniature. Mais, en dehors d’allusions distribuées à travers l’argument qui suit, je dois réserver ces questions à un traitement séparé.

6 Par exemple, E. A. SPEISER dans le volume sur la Genèse de la collection Anchor Bible (Garden City, N.Y., Doubleday, 1964, p. 189); de même le traditionnaliste Benno JACOB: « Der [Abraham] Abschnitt liegt also zeitlich vor c.23 und selbst c.17 oder schon c.14 » (Das erste Buch der Tora : Genesis, Berlin, Schoken, 1934). D’autres ont opté pour des solutions différentes de l’inversion temporelle, mais non moins significatives. Parlant en termes génétiques, Gerhard von Rad est ainsi d’avis de laisser le texte tel quel : dans la rédaction de leurs sources, les « anciens », avance-t-il comme hypothèse, ne prêtaient guère attention à la « cohérence biogra¬phique » (Genesis, trad. John H. Marks, Londres, SCM Press, 1970, p. 256). Dans une perspective midrashique, Bereshit Rabba (suivi en cela par des exégètes rabbiniques plus tardifs, et notamment Rashi et Sforno) identifie Qetura à Agar qui, après mariage, grossesses et divorce à la suite de son expulsion, serait à présent, et bien opportunément, disponible pour un retour à Abraham, avec une demi-dou¬zaine d’enfants confiés à son éducation. La non-cohérence de cette reconstitution fantaisiste avec la lettre de la Bible elle-même — ainsi le pluriel de « concubines » en 25,6 — en dit long sur la difficulté que représentait l’âge d’Abraham, y compris à des interprètes qui ne reculaient généralement pas devant le recours au miracle.

7 Pour un passage en revue et une discussion critique de cette notion et des notions apparentées, voir Arnaldo MOMIGLIANO, « Le temps dans l’historio¬graphie ancienne », dans Problèmes d’historiographie ancienne et moderne, trad. Évelyne Cohen, Louis Évrard, Antoine Malamoud et Alain Tachet, Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque des histoires), 1983. Momigliano affirme en fait que le corpus immense de travail critique sur le sujet est inversement proportionnel à l’éclairage qu’il projette sur les réalités (mentalités, écrits, antithèses, dévelop¬pements) de la culture ancienne.

8 Voir à ce propos STERNBERG, The Poetics of Biblical Narrative, pp. 41 et suiv.

9 Des exemples plus complexes de cette interaction seront repris plus loin dans cette étude ; on en trouvera d’autres encore, sur un front de recherche plus large, au long de The Poetics of Biblical Narrative. Pour un arrière-fond théorique, voir mon étude Expositional Modes and Temporal Ordering, pp. 69 et suiv.; « Spatio¬temporal Art and the Other Henry James : The Case of The Tragic Muse », dans Poetics Today, 5, 1984, pp. 775-830 ; « Time and Reader », en particulier la section finale. L’argument contre les théories réductionnistes ou isolationnistes qui y est développé s’applique également à la pratique et aux présupposés d’une bonne part de l’exégèse biblique à travers les siècles : depuis les Rabbins et les Pères de l’Église en tant qu’adeptes d’une typologie anachronique à, par exemple, l’analyse de Genèse 2–3 (et d’autres textes à la suite) par Joel ROSENBERG dans King and Kin : Political Allegory in the Hebrew Bible, Bloomington, Indiana University Press, 1986, qui pousse l’opposition entre structuration temporelle et spatiale jusqu’à un point extrême, en principe du moins, mais pas dans la pratique de sa lecture, qui est plus intuitive.


 

Les premières publications de Meir Sternberg, en hébreu puis en anglais, remontent à la fin des années 1960, et il était temps qu’un fragment nous en parvienne en français – langue étroitement associée, elle aussi, aux développements de la narratologie contemporaine. Mais que traduire ? Deux de ses ouvrages se recommandaient en raison de l’autorité qu’ils ont acquise, l’un dans le domaine de la narratologie générale, Expositional Modes and Temporal Ordering in Fiction (1978), l’autre dans le champ de la narratologie biblique, The Poetics of Biblical Narrative (1985). Ils constituent toutefois l’un comme l’autre un redoutable défi en matière de traduction. Il a paru plus réaliste de commencer par un écrit relativement bref, publié originellement sous le titre : « Time and Space in Biblical (Hi)story Telling : The Grand Chronology » (dans The Book and the Text : The Bible and Literary Theory, R. Schwartz [éd.], Oxford, 1990). L’essai en question est représentatif de la recherche d’ensemble de Meir Sternberg en ceci qu’il met en dialogue le récit biblique et la théorie narrative à propos de questions de temporalité, ce « telling in time » qui a retenu l’attention du narratologue de Tel Aviv depuis le début de son enquête. La « grande chronologie » est celle de la narration biblique à grande échelle ; elle est notamment l’occasion d’une réflexion sur les enjeux de la narration « dans l’ordre », face aux modèles théoriques ayant canonisé la narration « dans le désordre ». Le premier chapitre reproduit ici donnera une idée du « trafic bidirectionnel » mis en place par Meir Sternberg entre le corpus narratif de la Bible et la théorie narrative. Il illustre à sa manière les orientations de l’école de Tel Aviv, récemment présentées par Eyal Segal sur Vox Poetica.

 

Jean-Pierre Sonnet

 

Meir Sternberg, La grande chronologie. Temps et espace dans le récit biblique de l’histoire, traduit de l’anglais par Christine Leroy et Jean-Pierre Sonnet, coll. Le livre et le rouleau 32, Bruxelles, Lessius, 2008 (diffusion Cerf), 127 pp.

Prolongeant l’enquête de son ouvrage fameux The Poetics of Biblical Narrative, Meir Sternberg explore ici les tenants et aboutissants de la composition biblique à grande échelle – et met ainsi en lumière des options décisives dans l’art qu’a la Bible de raconter l’histoire.

 

Pourquoi le récit biblique raconte-t-il l’histoire dans l’ordre chronologique ? Pourquoi rapporte-t-il dans l’ordre la succession des épisodes alors qu’il raconte volontiers dans le désordre la séquence interne aux épisodes ? Sur fond de l’option générale, quelle est la portée du « blanc », qui enjambe des unités temporelles, et celle de la simultanéité, qui multiplie les trames narratives au sein d’une unité donnée ? Pourquoi le récit biblique rend-il la simultanéité en prenant régulièrement les devants dans telle ou telle trame privilégiée ? Pourquoi nous fait-il parfois hésiter quant à la succession ou la synchronisation des événements, avant d’abattre ses cartes ? Comment, enfin, un personnage – Moïse, dans le Deutéronome – peut-il raconter les choses dans le désordre ?

Autant de questions auxquelles Meir Sternberg donne réponse en nous faisant parcourir tout le corpus historiographique de la Bible et en s’arrêtant sur les pages qui comptent. Mises en dialogue, la poétique de la Bible et la théorie narrative s’éclairent mutuellement, et l’on découvre que le laboratoire poétique et théologique du récit biblique est celui où s’est élaborée notre relation au temps et à l’histoire.

Meir Sternberg est professeur de théorie littéraire et de littérature comparée à l’Université de Tel Aviv et dirige la revue Poetics Today. Publié en 1985, son ouvrage The Poetics of Biblical Narrative fait autorité en exégèse narrative. Le Prix Israël lui a été décerné en 1996.

Editions Lessius: www.editionslessius.be


 

 

 

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