Un roman de formation narrative*

 

 

Alexandre Prstojevic
INALCO
CRAL (CNRS - EHESS)

Le sujet de cet article est un phénomène narratif observé initialement dans les œuvres de deux romanciers européens contemporains, Claude Simon et Danilo Kis. Je lui attribuerai, faute de mieux, le nom de formation narrative. Mon propos sera, donc, de réfléchir sur ses propriétés distinctives afin d’envisager la possibilité de son extension théorique et pratique sur les œuvres d’autres écrivains. En effet, tout en se situant dans la zone déjà connue et solidement balisée du roman occidental, la formation narrative ou plutôt : le roman de formation narrative, en actualise(rait) les virtualités en réinvestissant le rapport entre écrivain, narrateur-auteur et personnage romanesque. De ce fait, il se présenterait comme une illustration, voire un début de réponse inattendue à la question très actuelle des vertus cognitives de la fiction[1].

Comme je viens de le dire, la discussion portera sur un corpus restreint mais représentatif de sept romans de Claude Simon et Danilo Kis écrits entre 1960 et 1989: La Route des Flandres (1960), Histoire (1967), Les Géorgiques (1981) et L'Acacia (1989) du premier, la trilogie Le Cirque de famille (Chagrins précoces (1969), Jardin, cendre (1965), Sablier (1972)) du second[2]. Bien que les deux écrivains n’aient jamais élaboré un projet de cycle romanesque traditionnel qu’ils auraient ensuite scrupuleusement respecté, personne aujourd’hui ne songe à nier que les romans cités forment de facto des cycles qu’on pourrait, en référence à leurs sujets, appeler « cycles de guerre » ou « cycles de famille ». La question par laquelle je commencerai ma démonstration touche à la façon dont ces romans, de formes et compositions fort différentes, se sont intégrés au fil des ans dans une construction qui les subsume et leur donne une signification nouvelle au point de changer radicalement leur réception.

L’accouchement du cycle

Lorsqu’il publie le roman Jardin, cendre en 1965, Danilo Kis ne songe pas à écrire une trilogie. Ce roman, qui retrace la vie d’un petit juif de l’Europe centrale sous l’occupation allemande, est le résultat logique de ses intérêts littéraires et spirituels déjà annoncé en 1962 par la publication de Psaume 44, longue nouvelle sur les camps de concentration nazis. C’est dire qu'en 1965 Kis n’a pas une vision globale de son travail, une vision qui d’ailleurs serait en désaccord avec ses postions poétiques nettement plus proches de Borges ou de Bruno Schulz que de Balzac ou Roger Martin du Gard. C’est à la publication de Chagrins précoces en 1969 qu’il devient clair que les deux livres constituent un ensemble fort car, en dépit d’un ton différent de la narration, ils prennent pour matière les mêmes événements historiques, possèdent les mêmes personnages et le même narrateur. Néanmoins, le livre de 1969 est un recueil de nouvelles. Par conséquent, il n’est pas reçu par le public comme faisant partie d’un cycle, mais bien comme le retour sur un même sujet devenu la marque de l’écrivain. C’est en 1972, avec la publication de Sablier que l’auteur définit lui-même « officiellement » dans ses entretiens ses trois livres comme trois tomes d’un même «  cycle de famille » :

« [...] ces trois livres – Chagrins précoces ; Jardin, cendre ; Sablier –, dans cet ordre, se complètent en effet peut-être et pourraient, dans cet arrangement, constituer un sorte de Bildungsroman, car ils reflètent l’évolution de deux personnes, Andreas Sam d’une part et D.K. de l’autre »[3].

Il faut remarquer le renversement de taille que Kis opère dans sa déclaration et qui passe aujourd’hui inaperçu auprès du public, notamment étranger, en raison du nombre grandissant d’éditions en volume des trois œuvres : le livre de 1969 est cité avant celui de 1965. Afin de constituer son cycle de famille, l’auteur reprend, après coup, les livres déjà publiés, les arrange en fonction de leurs caractéristiques formelles et thématiques, les fait précéder par un court Avant-propos, leur donne pour titre générique Le Cirque de famille, et les publie en volume pour la première fois chez Gallimard en 1989, à savoir dix-sept ans après la publication en langue originale du dernier tome. On peut dire, en s’appuyant sur les déclarations et les documents laissés par l'auteur que Danilo Kis a passé plus de sept ans sur Le Cirque de famille sans être conscient qu'il écrivait un cycle romanesque. Il était guidé par le besoin d’exprimer le sentiment de perte et de désespoir devant l’Histoire qu’il avait ressenti pour la première fois à l’âge de sept ans au moment où son père fut déporté à Auschwitz. Les années d’écriture ont été marquées par la constante recherche d’une forme apte à véhiculer sa pensée sur l’Histoire, pensée qui, en 1965, a toujours la teneur d’un pressentiment, avant de devenir, vers les années soixante-dix, une vision consistante et claire de l’univers humain. Les tâtonnements de l’écrivain reflétés dans son œuvre par l’évolution du récit au niveau formel (la vision du roman) et au niveau fabulatif (la vision du monde) trouvent leur écho dans les hésitations et les métamorphoses du personnage du narrateur-auteur.

Une évolution comparable peut être relevée dans l’œuvre de Claude Simon. Pour saisir ses grandes articulations, je reprendrai la périodisation proposée par Bernard Andrès dans Profils du personnage chez Claude Simon : Les œuvres « de jeunesse » (1945-1954) : Le Tricheur (1945), La Corde raide (1947), Gulliver (1952), Le Sacre du printemps (1954) ; La transition vers l’écriture (1957-1962) : Le Vent (1957), L’Herbe (1958), La Route des Flandres (1960), Le Palace (1962) ; La période néo-romanesque (1966-1975) : Femmes (1966), Histoire (1967), La Bataille de Pharsale (1969), Orion aveugle (1970), Les Corps conducteurs (1971), Triptyque (1973), Leçon de choses (1975) ; La production contemporaine (1981- ?) : Les Géorgiques (1981), La Chevelure de Bérénice (1984), Discours de Stockholm (1986), L’Invitation (1987), Album d’un amateur (1988), L’Acacia (1989), Photographies (1992)[4].

La périodisation de Bernard Andrès tient compte de l’évolution à la fois formelle et thématique de l’écriture simonienne. La période de jeunesse est assez clairement profilée : les quatre romans qui la constituent sont marqués par une approche romanesque traditionnelle dont Simon lui-même a rendu compte à maintes reprises en la décrivant comme une déception ou comme une période où il s’était prouvé à lui-même qu'il était incapable d’écrire à « l’ancienne ». Il en va de même pour la « période de transition » marquée par une intense recherche technique aboutissant, dans les années soixante-dix, à un véritable éclatement du récit par l’intensification des procédés déjà expérimentés dans Le Vent et Le Palace. Entre les années soixante-dix et quatre-vingt, en revanche, le roman de Claude Simon connaît une évolution formelle moins importante : Les Géorgiques, en dépit d’une composition très travaillée, amorce un retour à l’organisation globale plus équilibrée, lisible d’emblée dans la disposition des grandes parties ou sections constituant le roman. Avec La Route des Flandres déjà, Simon a expérimenté le système des schémas en couleurs et des dessins afin de visualiser au cours du travail la composition de l’ensemble. Ce retour au « calme harmonique » est accompagné par la reprise et l’enrichissement des sujets déjà abordés dans La Route des Flandres et Le Palace. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux critiques voient dans L’Acacia, par exemple, un roman-somme, une œuvre à la fois novatrice et désireuse d’affronter de nouveau l’énigme de la guerre laissée irrésolue dans les années soixante. Il y a pourtant une oeuvre qui met à l'épreuve, plus que l'Acacia, la périodisation de Bernard Andrès et nous permet de comprendre la façon dont s'est construit le cycle de Claude Simon : Le Jardin des Plantes.

Le Jardin des Plantes se présente sous forme d'essai romanesque. L’auteur y revient sur le problème de la forme qu’il thématise à travers les citations, fort nombreuses, des écrivains français ou étrangers (Stendhal, Proust, Dostoïevski). Il y aborde également la question de la guerre à travers l’interrogation sur la possibilité de dire ou plutôt de verbaliser, après coup, la peur, l’épuisement physique et la perte de repères éprouvés par le soldat pendant le combat. Roman-essai sur le roman, roman-essai sur le métier d’écrivain, Le Jardin des Plantes, met en question la structure romanesque traditionnelle en ce qu’il l’abandonne au profit d’une réflexion intime sur le dire littéraire. En même temps, Le Jardin des Plantes focalise l’attention de son lecteur sur le sujet de La Route des Flandres. D’ailleurs, le roman de 1998 se termine par le synopsis rédigé par le narrateur (Claude Simon ?) en vue de la réalisation cinématographique de La Route des Flandres, synopsis dont la dernière phrase, la phrase qui clôt le roman, donne sa véritable mesure au Jardin des Plantes : « Pour en atténuer l’éclat qui les faisait repérer par l’ennemi, les deux cavaliers ont enduit [les coquilles de leurs sabres] de boue, mais ce camouflage grossier pourrait, au cinéma, sembler l’œuvre maladroite d'un accessoiriste afin de faire plus « vrai ». Il vaudra donc mieux s’en abstenir.» (JP, 378)

Comment faire plus « vrai », comment dire le vécu, surtout : comment transmettre une expérience humaine – telle paraît la question centrale du Jardin des Plantes. En même temps, cette interrogation angoissée bouscule notre perception de l’écriture de Claude Simon et invalide partiellement la périodisation proposée par Andrès : c’est La Route des Flandres qui apparaît comme le véritable soubassement de son œuvre et, avec elle, les romans qui s’y rattachent thématiquement (même s’ils ne sont pas explicitement nommés dans le texte): Histoire, Les Géorgiques et L’Acacia. Une sorte d’épine dorsale semble désormais donner forme à trente ans d’écriture, une épine dorsale qui traverse (à l’exception de la première) toutes les périodes relevées par la critique : la période de « transition » aussi bien que celles de l’écriture « néo-romanesque » ou de la production « contemporaine ».

C’est cet ensemble de romans appartenant à des périodes différentes, mais qui d’un point de vue formel aussi bien que thématique composent un véritable cycle romanesque, cycle du « Cavalier » ou cycle de « guerre », qui m’intéresse ici. Si, comme Dominique Viart le précise à propos du roman de 1960, il y a chez Simon au niveau thématique une volonté de « sortir de l'histoire », au niveau formel il existe une pareille volonté de « sortir du roman »[5]. Le Jardin des Plantes est cette « sortie du roman » qui éclaire rétrospectivement la création de l’auteur français et permet de la lire autrement en y voyant, non pas des compartiments rigoureusement construits, mais bien une évolution souple et constante vers une expression littéraire autre, vers une expression que Danilo Kis atteint à la fin de sa vie dans les deux recueils de nouvelles – Un tombeau pour Boris Davidovitch (1976) et L’Encyclopédie des morts (1983) – désignés parfois comme « fiction documentaire »[6]. C’est le roman qui met en relief les hésitations, les doutes et les questionnements qui ont animé l’écriture de Claude Simon et qui trouvent leur « décalque » fictionnel dans les questionnements angoissés du personnage du narrateur-auteur.

En ce sens, il est possible de parler, à propos de ces deux œuvres, d’une mise en abyme non pas au niveau d'un paragraphe, d’un chapitre ou d’une partie, mais bien au niveau du corpus pris dans son ensemble. Cette mise en abyme serait le produit de la conjonction de deux situations similaires : d’un côté, celle de l’écrivain dans le monde réel qui hésite, expérimente, retravaille son texte afin de trouver la forme la plus appropriée pour exprimer sa pensée, et ce faisant écrit, sans en avoir conçu préalablement un plan – sans peut-être même avoir l’exacte idée de ce qu’il fait au moment où il le fait – , un cycle romanesque, et, de l'autre côté, celle du narrateur-auteur dans la fiction qui tâtonne, se perd et revient dans son texte sur les mêmes événements pour les raconter chaque fois d’une autre façon en espérant trouver – à travers cette recherche de la parole parfaite – l’explication de la tragédie qu’il a vécue.

En ce sens, cette mise en abyme est un mode, mais aussi un modèle, de l’écriture, car elle éclaire la position phénoménologique de l’instance créatrice qui apparaît dans toute la pluralité de ses formes : à la fois comme narrateur-auteur du cycle, comme auteur qui émane du texte (« l’auteur modèle ») et comme trace cachée entre les lignes de l’écrivain réel. Le constat d'ailleurs vaut autant pour l'écrivain (comment celui-ci revient avec constance aux mêmes sujets et, une fois les livres publiés, leur accorde éventuellement la valeur de « cycle ») que pour le lecteur (comment un lecteur lit et conçoit les romans de Claude Simon et de Danilo Kis en les regroupant spontanément en « cycle »).

L’intrigue de la forme

La vision du cycle romanesque de Kis s’oppose à la conception qu’en donnait le XIXe siècle. L’accent n’est pas mis sur la continuité fabulative d’une histoire mais sur le développement de la recherche formelle et spirituelle qui sous-tend l’énonciation de cette histoire. L'insatisfaction du narrateur quant aux résultats de cette recherche mène à une nouvelle narration, à un nouveau roman. L’enchaînement de ces romans (narrations), donc, est un enchaînement qualitatif, et non pas fabulatif. C’est le désir de la perfection, l’envie de « tout dire » mais aussi de tout comprendre qui fait « bourgeonner » le texte, qui oblige le narrateur à revenir sur ce qui a déjà été dit.

J’ai déjà souligné que Danilo Kis a publié ces trois œuvres séparément dans les années soixante et soixante-dix avant de les rééditer en un volume en 1989 et que c’est à la publication de Sablier seulement que la question du cycle romanesque s’est posée. C’est dire que l’histoire de la rédaction du Cirque de famille est en réalité l’histoire d’un apprentissage littéraire. Cet apprentissage de l’écrivain dans le monde réel est secondé en quelque sorte par la maturation du narrateur dans la fiction. Danilo Kis l’énonce explicitement dans la dernière phrase de son avant-propos : « [...] si le narrateur peut être identifié à l’auteur, ces trois livres, dans cet ordre, sont aussi d’une certaine façon un roman de formation littéraire ». Le parallélisme proposé par Kis nous incite donc à voir dans l’enchaînement des trois tomes une évolution qui fait écho à celle observée chez l’écrivain dans le monde réel. Par conséquent, la lecture du Cirque de famille ne peut pas négliger l’effet d’évolution formelle produit par le changement d’approche narrative réalisé à chaque nouveau tome. Le travail du narrateur est une mise en abyme du travail de l’écrivain. Les tâtonnements de Kis au cours de la rédaction de ses livres se reflètent dans les hésitations du narrateur dans la fiction.

Le Cirque de famille est marqué par la fragmentation (il serait même possible d’imaginer la genèse du cycle à partir d’un ensemble de textes très courts), par la combinaison et par le renvoi (chaque élément entre en relation étroite avec les autres éléments d'un même tome ou du cycle entier). Dans chaque tome, la logique d’unification c’est-à-dire la mise en relations d’éléments parfois disparates, change. Ainsi, la structure du Cirque de famille peut être observée comme une structure dynamique qui est, quand à elle, le résultat d’une recherche de l’équilibre esthétique. A un ensemble de nouvelles dont les relations mutuelles ne sont pas toujours évidentes succède un roman composé à partir de textes courts qui se succèdent selon un principe fabulatif assez simple (le narrateur respecte la chronologie en essayant de raconter l’histoire de son personnage principal du début jusqu’à la fin). La trilogie se clôt par un roman complexe : soixante-six des 67 « fragments » textuels sont regroupés en quatre grandes sections (« chapitres ») qui respectent une logique très précise. Le dernier, la lettre que le personnage principal, Edouard Sam, envoie à sa soeur Olga quelques jours avant sa déportation dans le camp d’Auschwitz, sert de modèle au roman. Il est le canevas sur lequel l’écrivain va disposer ses fragments de telle façon que la structure ainsi obtenue soit le développement, ou l’approfondissement symétrique, du plan (canevas) initial.

D’un tome à l’autre Kis change à la fois la forme et le sujet de son récit. Dans Chagrins précoces le narrateur expose ses souvenirs d’enfance, dans Jardin, cendre il dépeint la vie de sa famille pendant la Deuxième Guerre mondiale tandis que, dans Sablier, il se consacre à la reconstitution minutieuse des derniers jours de son père Edouard Sam. C’est ainsi que l’évolution de la forme est accompagnée, dans Le Cirque de famille, par une très nette évolution du sujet. En fin de compte, c’est la figure du père qui s’impose comme la véritable clé interprétative de l’œuvre. Elle est le point d’aboutissement de l’écriture de Danilo Kis, mais aussi, comme l’auteur l’indique lui-même, le point de rencontre de deux personnages principaux, la rencontre du père disparu avec le fils qui honore sa mémoire. Pour cette raison, Le Cirque de famille est une œuvre en devenir, une œuvre qui évolue d'un degré bas vers un degré très élevé d'organisation formelle, un récit qui ne cesse d’« ajuster » son sujet.

Cette évolution en trois étapes, qui reflète la maturation du narrateur, peut être observée également dans le cycle de Claude Simon. Son premier volet (La Route des Flandres) est un tableau subjectif de la Deuxième Guerre mondiale. La mémoire du narrateur y joue un rôle primordial. Dans son désir de tout dire, celui-ci néglige souvent les règles élémentaires de ponctuation. Le lecteur a l’impression d’un écoulement verbal sans contrôle, proche du monologue intérieur, d’un récit basé sur l’association et le renvoi, qui déroge aux règles traditionnelles de structuration romanesque que sont la chronologie des événements et l’unité de la fable. Un équilibre du récit, difficile à saisir d’emblée, existe pourtant. Le motif central du roman est celui de « la route assassine », à savoir l’instant où le personnage principal (Georges), après la défaite de l’armée française et la disparition de son régiment de cavalerie (presque tous ses camarades sont tués), se retrouve sur une route déserte. C’est sur cette route que Georges verra mourir son capitaine abattu par un parachutiste allemand embusqué. La mort du capitaine, la route, les cadavres des soldats et les restes calcinés des véhicules composent, dans la mémoire du narrateur, une image unique, stable, à partir de laquelle il va, suivant un principe de dérivation, d’association, de « bourgeonnement » narratif, générer le roman entier.

Tous les spécialistes de Simon s’accordent pour dire que c’est le motif de « la route assassine » qui assure au roman de 1960 sa stabilité et que le récit gravite en permanence autour de cette image initiale, emblématique de l’œuvre simonienne, image qui, d’ailleurs, réapparaîtra dans les trois romans suivants du cycle, leur assurant ainsi une forte auto-textualité. Histoire et Les Géorgiques sont structurés de deux manières différentes. Histoire est composé à partir de deux récits superposés. Dans le récit premier, est décrite une journée de la vie du narrateur. La chronologie y est respectée avec minutie. Le récit second, en revanche, est constitué des souvenirs du narrateur liés à son enfance ou à son père prématurément disparu. Dans ce récit, ni l’unité de lieu ni l’unité de temps ne sont respectées. Ainsi, le récit premier est une sorte de base ordonnée pour un récit second désordonné, car composé d’un grand nombre de souvenirs dont les liens mutuels ne sont pas toujours directs. Les Géorgiques, est caractérisé par une organisation nettement plus complexe : le narrateur y retrace la vie de trois hommes : le général Jean-Pierre L.S.M. (la Révolution française), un journaliste anglais (la guerre d’Espagne) et le personnage principal de La Route des Flandres (la Deuxième Guerre mondiale). L’art de Claude Simon consiste à harmoniser ces trois destins romanesques, à créer de nombreux liens au niveau thématique (la similitude des expériences guerrières ou la différence des enseignements que les personnages en tirent) et formel (principalement par la mise en page, la typographie et le collage). A la différence d’Histoire, dans Les Géorgiques il n’y a plus de structure portante apparente. C’est l’équilibre fragile entre les trois lignes d’intrigue qui assure la cohésion de l’ensemble. Ici, le travail continu de la mémoire, qui caractérisait La Route des Flandres, cède la place à un art de la combinaison et de la recomposition d’un ensemble d’instants ou de morceaux de récit parfois disparates.

L’Acacia est publié en 1989, à savoir huit ans après Les Géorgiques et vingt-neuf ans après La Route des Flandres. Pour Simon pourtant, l’énigme initiale n’a rien perdu de son attrait : le récit revient avec plus de précision, et en suivant avec plus d’exactitude la chronologie des événements, sur la vie du père prématurément disparu. Le roman est construit à partir de deux lignes d’intrigues clairement définies : les chapitres impairs retracent la vie du père tandis que les chapitres pairs sont consacrés à la vie de son fils Georges. Ainsi, se trouve dénudé, dans le dernier volet du cycle simonien, le lien cardinal qui a assuré trente ans durant l’unité d’une recherche intense et continue. En même temps, cette mise sur le devant de la scène du rapport père-fils a plus d’un point commun avec la démarche qu’adopte Danilo Kis dans le dernier tome du Cirque de famille.

A la différence des cycles romanesques traditionnels où le premier tome contient le début, le deuxième la suite et le troisième la fin d’une même histoire, les œuvres de Simon et Kis sont thématiquement marquées par un constant retour sur un même sujet qui, de ce fait, en constitue « l’élément statique ». D’un tome à l’autre un ensemble de souvenirs est raconté, repensé, restructuré afin de créer l’impression d’un mouvement circulaire. En même temps, c’est la forme romanesque avec ses incessantes évolutions qui s’affirme comme la « partie dynamique » de l’œuvre. La question que le lecteur de Simon et Kis se pose, n’est plus « Quelle nouvelle histoire m’attend au prochain tome », mais « De quelle (nouvelle) façon sera racontée l’histoire que je connais déjà ». Autant dire que la tension narrative qui assure la fermeté du cycle migre du domaine de la fable, à celui de la forme pour modifier fondamentalement le rapport entre l’histoire racontée, la façon dont elle est racontée et la vision du monde véhiculée par l’œuvre. Il ne suffit plus de raconter une histoire : il faut la raconter d’une certaine façon. Et c’est de la façon dont elle est racontée que dépendra aussi sa signification. A l’allégresse d’une histoire chronologiquement bien construite qui véhicule sa propre réponse exotérique, se substitue un considérable effort mental du Je qui rédige le corpus.

Nous pouvons reconnaître cet effort dans la façon dont les deux cycles sont élaborés. Du premier tome, un recueil de nouvelles sans structure globale particulière, jusqu’au dernier tome, dont l’organisation formelle est élaborée avec minutie, dans Le Cirque de famille la complexification structurale va grandissant. Dans le cycle de Claude Simon, en revanche, cette évolution s’accomplit en deux temps. Le principe « mémoriel » de structuration de La Route des Flandres est abandonné dans Histoire et Les Géorgiques au profit d’autres principes, encore plus complexes, qui sont repensés ensuite dans L’Acacia afin que le récit présente un profil net. A la différence des cycles traditionnels, à chaque volet des deux triptyques le lecteur se trouve face à un nouveau fait littéraire : ce n’est plus un nouvel épisode d’une même histoire qui attend le lecteur, mais bien une nouvelle structure, un contenu événementiel renouvelé, un rapport au contexte historique plus complexe et un narrateur plus mûr. Le lecteur doit refaire son « initiation » littéraire : aux éléments qu’il possède déjà il ajoute des informations nouvelles, se familiarise avec la structure et adapte sa façon de lire à la forme qui lui est proposée.

C’est ainsi que l’évolution formelle provoque l’évolution de l’engagement du lecteur : plus l’œuvre est complexe, plus elle demande d’effort au lecteur. En même temps, elle découvre un autre et très important mouvement accompli dans la profondeur du texte : celui qui concerne le sujet des deux cycles car il recentre le discours romanesque, après la remémoration initiale de l’expérience intime de la guerre dans Chagrins précoces et La Route des Flandres, sur la recherche du père, dans Sablier et L’Acacia. Dans ce sens, il est possible de parler d’une double maturation : du roman (de l’art du roman) et du narrateur. Le refus initial de la narration chronologique résulte non seulement d’une structure plus complexe du récit, mais plus encore d’une désolidarisation du personnage du narrateur du modèle littéraire dominant. Comme l’ensemble romanesque n’est pas fondé sur la succession traditionnelle des événements ou des thèmes qui présuppose la linéarité de la représentation, mais sur l’unité de la recherche, l’intrigue loin de se présenter comme un alignement chronologique des événements, devient une succession d’interprétations (représentations) d’un nombre défini de ces mêmes événements.

Qui crée le roman?

La variation des modalités de cette succession donne son caractère à l’œuvre qui s’affirme dès lors comme le produit d’une conscience qui hésite. Plus qui est, d’un point de vue formel, cette conscience n’est pas unique car notre corpus connaît la narration à la première aussi bien qu’à la troisième personne. C’est dire que les mêmes événements sont représentés tantôt à travers la vision du protagoniste, tantôt à travers le discours d’un observateur, et que celles-ci ne coïncident pas obligatoirement. L’unité romanesque est mise à l’épreuve du sens.

Est-il possible que Georges de La Route des Flandres soit le narrateur d’Histoire ou de L’Acacia ? N’existe-t-il pas une franche opposition entre la narration au ton très intime des deux premiers tomes du Cirque de famille et la froideur policière de Sablier ? Si Georges, de La Route des Flandres, peut être identifié au narrateur d’Histoire, comment comprendre alors cette brusque apparition de la première personne dans la dixième partie de celle-ci qui, indique, de manière incontestable, que le narrateur est un personnage secondaire (l’oncle Charles) ? Et si le narrateur du dernier tome du Cirque de famille n’est pas Andréas Sam, comment ce nouveau scripteur est-il entré en possession des carnets et des lettres d’Edouard Sam dont il relate l’histoire ?

Le personnage du narrateur est la clé de voûte des deux cycles car il est à la fois à l’origine du roman et son acteur principal. Par conséquent, le roman n’est plus une simple représentation du réel mais bien la restitution du « réel d'une expérience » : en formulant verbalement son expérience de la guerre, le narrateur en acquiert une autre : celle du processus même d’énonciation littéraire qui lui permet de (re)constituer sa propre identité.

Le narrateur n’est pas un simple médium à travers lequel l’auteur énonce son récit et exprime ses opinions. Il a un rôle des plus actifs : il harmonise le roman en le construisant à sa mesure. Ainsi, dès le début de la trilogie familiale, la production du texte et l’établissement de l’espace romanesque sont mis sur le devant de la scène, présentés, commentés, discutés par l’omniprésent Andréas Sam qui ne cesse d’apostropher le lecteur tout au long des deux premiers tomes. Dans la neuvième nouvelle du premier tome, il passe de la narration à la troisième personne : « C’était à l’époque où son père ne buvait pas encore [...] et où lui, Andréas Sam, ne travaillait pas encore chez les paysans » (CP, 43) à la confidence : « Restons à la troisième personne. Après tant d’années, Andréas Sam, ce n’est peut-être pas moi » (CP, 44). Lorsque, à un autre moment il décrit la beauté des paysages dans lesquels se déroule l’action de la trilogie familiale, il précise: « A cette époque, je n’imaginais pas du tout que j’écrirais un jour des histoires, mais j’eus cette pensée : ‘Mon Dieu, comme je suis impuissant devant ces fleurs!’ » (CP, 49). A une autre occasion, après avoir décrit la triste situation de la famille pendant la guerre, il lance, d’un présent de l’écriture jamais véritablement défini : « Soit dit en toute impartialité, en se plaçant dans la perspective actuelle, la faim eut un effet bienfaisant sur nous tous, du moins au début » (J,C, 130).

Ce premier type d’intervention, caractérisé par un ton intime qui tend à impliquer le lecteur dans l’histoire et à créer, en dépit d’un style très soigné, une atmosphère de dialogue proche du récit oral, est complété par des réflexions sur la structure de l’œuvre même. De ce point de vue, deux passages cruciaux marquent Le Cirque de famille. Ils se trouvent au milieu et à la fin du volet central et soulignent à la fois le changement du sujet, les efforts de l’artiste et le doute quant aux conséquences de cette rectification thématique. Enfin, leur pertinence est sans faille, car il s’agit de véritables énoncés poétiques réflexifs dans le sens où il définissent avec grande précision les propriétés formelles et thématiques de l’œuvre à laquelle ils se rapportent.

Ainsi, lorsqu’il explique que : « [...] de façon tout à fait inattendue et imprévue, cette histoire, ce conte devient de plus en plus l’histoire de mon père, l’histoire du génial Edouard Sam », et que « Cela rejette à l’arrière-plan les petites histoires personnelles, celles de ma mère, de ma sœur et moi-même, les histoires de saisons et des paysages » (J,C, 182), le narrateur du Cirque de famille constate ce que l’ensemble de la critique Kisienne répétera quelques années plus tard : après s’être consacré à la description d’une enfance campagnarde dans le premier tome, il opère un changement thématique dont le point culminant se situe exactement au milieu du deuxième tome[7]. Il en va de même pour le commentaire se trouvant dans l’avant-dernière partie de Chagrins précoces :

A fouiller ainsi parmi les vieilles cartes postales, comme je le fais aujourd'hui –  comprenez-moi bien – je me rends compte que tout s’est soudain emmêlé, embrouillé. Dès l’instant où la figure géniale de mon père a disparu de ce récit, de ce roman, tout s’est éparpillé, tout s’est disloqué. Sa puissante présence, son autorité et même son nom, ses fameux réquisitoires suffisaient à maintenir dans un cadre solide la trame du récit [...] (J,C, 226).

La question de la transparence narrative est lourde de sens. Posée à la fin du deuxième tome, elle annonce la réponse que l’auteur donne dans le troisième. En effet, si Sablier est un retour sur la vie du personnage disparu, il est plus encore le produit de la reconsidération de la structure romanesque et des limites de la narration à la première personne. Dans le dernier tome de la trilogie familiale, le narrateur à la première personne quitte la scène afin que le personnage principal puisse l’occuper une dernière fois. En même temps, la réflexion citée laisse soupçonner un nouveau type d’implication d’Andréas dans la production du texte, car le rôle de narrateur traditionnel qu’il joue dans Chagrins précoces et dans Jardin, cendre, ne l’empêche pas d’organiser la structure de Sablier – dont il est formellement absent – , et de confirmer ainsi son statut d’auteur du cycle.

La situation ne manque pas de similitudes avec celle du narrateur simonien. Si La Route des Flandres, Histoire, Les Géorgiques et L’Acacia ne bénéficient pas, d’un point de vue formel, d’une voix narrative unique, leur auteur reste assurément le brigadier Georges qui change d’un roman à l’autre de statut diégétique. A la différence du Cirque de famille où les interventions du narrateur sont directes et très fréquentes, on a affaire, dans le corpus simonien, à plusieurs moments clés permettant la construction d’un cadre précis qui est ensuite délicatement rappelé au lecteur par des passages fort associatifs ou par des mises en abyme.

D’abord, la troisième (et dernière) partie de La Route des Flandres : tout en faisant partie intégrante de la diégèse, elle apporte des informations cruciales sur le héros et le définit comme cette conscience centrale qui organise le roman. Histoire, quant à elle, met en relief, dès la première ligne, l’acte d'écrire : « L’une d’elles [branches de l’acacia] touchait presque la maison et l’été quand je travaillais tard dans la nuit assis devant la fenêtre ouverte je pouvais la voir » (H, 9). Enfin, dans L’Acacia, le personnage principal rescapé d’un camp de prisonniers en Allemagne, décide, après une période de repos, d’organiser son souvenir : « Peu à peu il changeait. Il recommença à lire les journaux, regardant les cartes qu’ils publiaient, les noms des villes, des côtes ou des déserts où continuaient à se livrer des batailles. Un soir il s’assit à sa table devant une feuille de papier blanc. C’était le printemps maintenant. La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L’une des branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur [...] » (A, 379-380). Importante à plus d’un titre, cette clôture du roman de 1989 permet à la fois de relier L’Acacia à Histoire, car la continuité de l’écriture ne fait plus de doute, et de définir le héros principal, le brigadier Georges, comme narrateur du corpus entier.

Ce premier plan de références et d’associations est renforcé par un deuxième constitué d’une multitude de réflexions courtes dispersées dans les quatre romans mettant en relief l’hésitation du narrateur. Ainsi, lorsqu’il décrit, dans Histoire, les longues absences de l’oncle Charles, le narrateur essaie d’imaginer la vie parisienne de ce père par procuration, en se rendant compte de son échec littéraire, et recommence la narration à partir de la question angoissée comme adressée à lui-même : « Mais exactement, exactement ? » (H, 87) qui produit, un paragraphe plus loin, une nouvelle rectification, portant cette fois-ci sur la représentation des événements constituant le récit premier : « Pensant : ne pas se dissoudre, s’en aller en morceaux Où, comment ? Récapitulation : sièges tubes d’acier nickelé, moleskine, paroi de marbre (...) » (H, 89) Est-il besoin de rappeler que le roman est mis sous le signe des vers de Rilke : « Cela nous submerge. Nous l’organisons. Cela/tombe en morceaux./Nous l’organisons de nouveau et tombons / nous-mêmes en morceaux » ?

L’angoisse de la forme sous-tend fondamentalement le récit. Les questions que le narrateur de Simon se pose régulièrement au présent de l’indicatif produisent à la fois un effet de présence énonciative et de doute en la complétude de l’univers romanesque. Ainsi, dans la première partie des Géorgiques, l’image de l’auteur est tissée dans le texte composite pour être dissoute, retravaillée, mise dans un rapport étroit avec les personnages secondaires. Au début du roman de 1981, les trois personnages désignés par un « il » trompeur vivent et écrivent des événements semblables au point de provoquer une franche confusion chez le lecteur. Le premier acteur est le général L.S.M., le deuxième est un journaliste/écrivain anglais désigné par O. (derrière lequel on devine aisément George Orwell) alors que le troisième est, sans aucun doute, le cavalier de La Route des Flandres. La similitude de leurs expériences guerrières est renforcée par le fait que le général aussi bien que le cavalier écrivent leurs récits au soir de leur vie. Ainsi le Général est-il assis sur la terrasse de son château au-dessus de laquelle tournoie :

Un vol noir de corneilles [...] dans un lent battement d’ailes et un tapage de cris discordants. Il est fatigué. Il ferme les yeux. La tache lumineuse du registre aux pages éclairées par le soleil reste imprimée sur sa rétine. Sous ses paupières fermées il voit un rectangle rose se détachant sur un fond pourpre. Le rectangle dérive lentement vers la droite (G, 25).

A cette image très suggestive de la fatigue qui envahit le général L.S.M., l’ancêtre du narrateur du cycle, quelques heures avant sa mort, s’enchaîne, toujours en italiques, celle d’un écrivain inconnu qui feuillette ces mêmes registres :

Au-delà du cahier ouvert sur la table et des volutes du balcon il peut voir en contre-bas la cour de la caserne où se succèdent les cavaliers. Ceux-ci sont vêtus de tuniques noires. Sur la page du registre le nom Moustapha ainsi que les trois lignes de son signalement sont barrés de traits obliques. La même plume épaisse a ajouté au-dessus : Mort à Saint-M... le 8 décembre 1811. Il regarde sa main sur le dos de laquelle deux grosses veines gris-bleu en relief enjambent les tendons correspondant à l'annulaire et l’index (G, 29).

Au-delà du cahier ouvert sur la table et des volutes du balcon il peut voir en contre-bas la cour de la caserne où se succèdent les cavaliers. Ceux-ci sont vêtus de tuniques noires. Sur la page du registre le nom Moustapha ainsi que les trois lignes de son signalement sont barrés de traits obliques. La même plume épaisse a ajouté au-dessus : Mort à Saint-M... le 8 décembre 1811. Il regarde sa main sur le dos de laquelle deux grosses veines gris-bleu en relief enjambent les tendons correspondant à l'annulaire et l’index (G, 29).

 

 

 

Cet article est extrait de l'ouvrage:
Le Roman face à l'Histoire.
Essai sur Claude Simon et Danilo Kis.

Préface de Jean-Pierre Morel.
L'Harmattan, 2005.


[1] A ce propos voir entre autres : Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999 ; Jean-Jacques Lecercle et Ronald Shusterman, L’Emprise des signes, Paris, Seuil, 2002.

[2] Sauf mention expresse contraire, tous les romans de Claude Simon cités dans cet article sont publiés aux Editions de Minuit. La trilogie Le Cirque de famille, de Danilo Kis est publié chez Gallimard, dans la collection L’imaginaire en 1989 (trad. Jean Descat, Pascale Delpech).

[3] L’avant-propos au Cirque de famille est extrait d’un entretien que Danilo Kis a accordé à la presse belgradoise en 1973. Voir : Danilo Kis, Le Résidu amer de l’expérience, Paris, Fayard, 1995, pp. 55,56.

[4] Bernard Andrès, Profils du personnage chez Claude Simon, Paris, Les Editions de Minuit, 1992, pp. 24-27.

[5] Dominique Viart, Une mémoire inquiète, Paris, Puf, coll. Ecrivains, 1997, p. 204.

[6] Danilo Kis, Un tombeau pour Boris Davidovitch, Paris, Gallimard, 1979 ; L’encyclopédie des morts, Paris, Gallimard, 1985.

[7] A ce propos voir : Jovan Delic´, Kroz prozu Danila Kisa, Belgrade, BIGZ, 1997 ; Petar Pijanovic´, Proza Danila Kisa, Pristina, Gornji milanovac, Jedinstvo, Decje novine, 1991 ; Aleksandar Jerkov, Od modernizma do postmoderne, Pristina, Gornji milanovac, Jedinstvo, Decje novine, 1991.

[8] Dominique Viart, op.cit., p 59.

[9] « Entretien avec Lucien Dällenbach réalisé par Guy Neumann », Revue des sciences humaines, n° 220, Lille, p. 85

 

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