Deux livres sur la représentation de la conscience dans le récit
Essai de narratologie comparée

 

Sylvie Patron
Université Paris Diderot

Deux livres sur la représentation de la conscience dans le récit ont été publiés récemment aux États-Unis et aux Pays-Bas (dans une collection dédiée à la langue et à la littérature françaises). Leur lecture successive constitue une expérience intéressante, car les divergences sont nombreuses et soulèvent des questions importantes, concernant notamment les relations entre la narratologie ou la théorie narrative et l’histoire. Le présent essai a pour but d’approfondir cette expérience et de proposer une analyse comparative de ces deux ouvrages : The Emergence of Mind : Representations of Consciousness in Narrative Discourse in English, dirigé par David Herman (2011) et La Représentation de la vie psychique dans les récits factuels et fictionnels de l’époque classique, codirigé par Marc Hersant et Catherine Ramond (2015) 1. L’origine géographique et culturelle des auteurs, les corpus sur lesquels ils travaillent, les approches analytiques et les références différentes sont autant d’éléments qui justifient l’intérêt d’une confrontation de la pensée de Herman et de ses collaborateurs avec celle de l’équipe de Hersant et Ramond. Cette confrontation me donnera également l’occasion de réfléchir sur les enjeux de ces deux pratiques de la narratologie ou de la théorie narrative.

Remarques préliminaires

Dans le livre de Hersant et Ramond, on ne décèle aucune influence de celui de Herman, pourtant paru quatre ans auparavant. Les travaux des auteurs phares du livre de Herman (Monika Fludernik, Alan Palmer, Lisa Zunshine, Herman lui-même) ne semblent pas non plus connus de l’équipe de Hersant et Ramond. Réciproquement, aucune trace des travaux des auteurs français n’apparaît dans les chapitres du livre de Herman qui portent sur les mêmes périodes 2. La situation n’est cependant pas tout à fait la même, ces travaux étant peu connus, même en France, en dehors du cercle des spécialistes.
L’ouvrage de Herman s’attache à examiner les « grandes tendances de la représentation de la conscience dans le discours narratif de langue anglaise d’environ 700 à nos jours » (p. vii) 3. Il est organisé en quatre parties, regroupant chacune deux ou trois chapitres. La première est consacrée au récit en ancien et moyen anglais ; la deuxième, au récit des XVIe et XVIIe siècles ; la troisième, au récit des XVIIIe et XIXe siècles ; la quatrième au récit moderniste et postmoderniste (des deux dernières décennies du XIXe siècle au tout début du XXIe siècle). À l’intérieur des parties, les chapitres, numérotés de 1 à 9, portent tous une indication de période précédant le titre proprement dit : chapitre 1, « 700-1050: Embodiment, Metaphor, and the Mind in Old English Narrative », par Leslie Lockett ; chapitre 2, « 1050-1500: Through a Glass Darkly ; or, the Emergence of Mind in Medieval Narrative », par Monika Fludernik ; chapitre 3, « 1500-1620: Reading, Consciousness, and Romance in the Sixteenth Century », par Elizabeth Hart, etc. L’intention est claire : il s’agit de montrer l’exhaustivité (toutes les périodes sont couvertes) et l’intérêt du travail collaboratif (chaque période est confiée à un spécialiste). Cependant, on a beau chercher, on ne trouve ni dans l’introduction générale, ni dans les introductions des chapitres, d’informations sur les choix qui ont présidé au découpage des périodes 4. Le fait que les périodes se succèdent de façon continue, sans interruption ni recouvrement paraît être une solution de facilité plus qu’une proposition réfléchie et construite. On se prend aussi à penser que sur une matière telle que la représentation de la conscience dans le récit, une série de coupes synchroniques, montrant comment ces questions et ces pratiques s’articulent à tel ou tel moment de l’histoire des Îles britanniques, aurait été plus pertinente. D’autre part, il suffit de comparer le livre de Herman et celui de Hersant et Ramond pour se rendre compte que les grandes tendances de la représentation de la conscience évoquées dans les chapitres 4, 5 et 6 du livre de Herman (« 1620-1700 : Mind on the Move », par Elizabeth Bradburn, « 1700-1775 : Theory of Mind, Social Hierarchy, and the Emergence of Narrative Subjectivity », par Lisa Zunshine, « 1775-1825 : Affective Landscapes and Romantic Consciousness », par David Vallins) sont loin d’épuiser une matière des plus riches et des plus évolutives.
Sous le titre La Représentation de la vie psychique dans les récits factuels et fictionnels de l’époque classique, l’ouvrage de Hersant et Ramond réunit les actes d’un colloque qui s’est tenu en France, à l’Université de Lyon III, en octobre 2012. La périodisation est beaucoup plus étroite que celle du livre de Herman, « l’époque classique » désignant ici les dix-septième et dix-huitième siècles (jusqu’à la Révolution française, même si un article de Stéphanie Genand sur Germaine de Staël va au-delà de cette borne terminale). Hersant et Ramond utilisent aussi dans leur introduction l’expression « récits d’Ancien Régime ». Les vingt-six  articles que comporte le volume sont répartis en quatre parties thématiques. La première, intitulée « Approches théoriques et poétiques », rassemble des contributions qui articulent les débats actuellement en cours en France aux questions spécifiques posées par les récits de l’époque classique. La deuxième, sous le titre un peu ambigu de « L’écriture factuelle : une tentation de la fiction ? », est consacrée aux récits factuels (Histoire, Mémoires, témoignages) et à la façon dont ils représentent ou non la vie intérieure des protagonistes. On peut signaler au passage que ce sujet n’est pas traité ni même abordé dans le livre de Herman, qui se concentre presque exclusivement sur des récits fictionnels 5. La troisième partie du livre de Hersant et Ramond est consacrée aux récits fictionnels, en particulier à ceux qui présentent des formes hybrides : récits de Théophile de Viau, entre fiction et non-fiction, nouvelles historiques, romans-mémoires (« Les formes de la fiction : une vie psychique sous contrôle ? »). Enfin, la quatrième partie se focalise sur la diversité des types d’intériorité représentés dans les récits factuels et fictionnels, et aux approches nouvelles ou particulières du Moi qui s’y élaborent : approche religieuse, médicale, approche du Moi par la sensation du toucher, approche psychanalytique avant la lettre (« Types d’intériorité représentés »). À l’intérieur des parties, les articles sont disposés dans l’ordre chronologique des sujets traités. Un passage de l’introduction rappelle brièvement les thèmes qui établissent la spécificité de la période considérée : la naissance de l’« individu moderne », « idée forcément un peu schématique, mais à laquelle les séries d’autoportraits de Rembrandt ou l’émergence d’un projet comme Les Confessions donnent une sorte de sens malgré tout » ; son lien avec le développement de certains genres narratifs, factuels et fictionnels : « Et si les travaux majeurs de Ian Watt ou de René Démoris ont fait du roman du XVIIIe siècle une sorte de laboratoire poétique de cet “individualisme”, il est certain que l’essor des Mémoires, tout au long de ce que les historiens appellent l’époque moderne, a également joué un rôle important » (p. 13). Le livre de Hersant et Ramond se distingue également de celui de Herman par l’attention portée aux récits et aux genres de récits, factuels et fictionnels, dans lesquels la conscience (la vie mentale, la vie intérieure, l’intériorité… 6) n’est pas représentée, ou est représentée a minima. On peut renvoyer sur ce point aux articles d’Hélène Merlin-Kajman (« La transparence extérieure : les Mémoires de Mme de la Guette »), de Cyril Francès (« “J’entendais parfaitement le langage de son âme” : les mirages de l’intériorité dans l’Histoire de ma vie de Casanova »), ou de Ramond sur les romans du Marquis de Sade (« Trouble dans le sujet : la vie psychique de Justine »).
La portée du livre de Herman dépasse de beaucoup l’intérêt qu’il présente pour l’histoire littéraire anglaise : « […] les chapitres du livre exposent collectivement de nouvelles directions dans l’étude des esprits fictionnels – non seulement à travers les différentes époques du récit de langue anglaise, mais aussi (par extension) eu égard aux nombreuses traditions narratives du monde entier » (p. 2). Le livre de Hersant et Ramond reste un livre d’histoire littéraire, même s’il s’agit d’une histoire littéraire renouvelée dans ses curiosités et ses formulations. Il s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche plus vaste, intitulé « Récit et vérité à l’époque classique » et visant à « une étude comparée des formes et des enjeux du récit de fiction et du récit non fictionnel ou “historique” au sens large aux XVIIe et XVIIIe siècles » (p. 5). Le premier volet de ce programme était consacré aux discours rapportés dans les récits factuels et fictionnels de l’époque classique 7. Le troisième volet est actuellement en cours d’élaboration et concerne les portraits dans ces récits 8. Entre les deux, l’ouvrage qui nous intéresse renoue avec certains aspects de la question des discours rapportés, les pensées des personnages du récit classique étant souvent présentées comme des discours, à la forme du discours direct. Il montre l’intérêt d’un dialogue construit et continu entre les spécialistes des récits factuels (dont Hersant lui-même fait partie 9) et les spécialistes des récits fictionnels à l’époque considérée 10.
Dans les deux sections suivantes, je comparerai la position respective des deux ouvrages sur la question des relations entre les esprits fictionnels et les esprits en dehors de la fiction (Herman) et/ou sur celle des relations entre les représentations des esprits dans les récits factuels et fictionnels (Herman dans une moindre mesure et surtout Hersant et Ramond). Je m’intéresserai tout d’abord à l’introduction de Herman, qui a valeur de manifeste. Je traiterai séparément l’introduction de Herman et les chapitres subséquents, qui me semblent représentatifs de nouvelles directions dans l’étude des esprits fictionnels sans nécessairement refléter toutes les thèses et antithèses de Herman. Dans le cas du livre de Hersant et Ramond, je proposerai une approche plus globale, dans la mesure où l’introduction est plus courte (treize pages contre trente-six chez Herman) et d’une portée moins radicale. Certains articles illustrent aussi particulièrement bien les intentions exprimées dans l’introduction.

Contre la Thèse de l’Exceptionnalité

La majeure partie de l’introduction du livre de Herman est consacrée à la réfutation de ce qu’il appelle la Thèse de l’Exceptionnalité (les majuscules sont de Herman). La Thèse de l’Exceptionnalité est la thèse selon laquelle « les expériences que font les lecteurs des esprits fictionnels sont différentes par nature de leurs expériences des esprits qu’ils rencontrent en dehors du domaine de la fiction narrative » (p. 8). Elle est formulée de façon plus claire ou plus familière dans la suite du passage comme thèse de la singularité des récits fictionnels (il conviendrait d’ailleurs de préciser : à la troisième personne) eu égard à la façon dont ils représentent les esprits des personnages : « la capacité prétendument unique des récit fictionnels à représenter la “je-originéité” d’une autre personne en tant que sujet, dans le langage de [Käte] Hamburger » (p. 8). Le terme « je-originéité » est un terme technique qui n’est pas expliqué par Herman (il l’utilise lui-même, sans guillemets, à plusieurs reprises, ce qui a pour effet de le dépouiller totalement du caractère technique qu’il a chez Hamburger). Herman précise qu’il ne conteste pas l’existence, établie par les travaux de Hamburger et à sa suite de Cohn 11, de certaines formes langagières spécifiques à ou caractéristiques des récits fictionnels. Ce qu’il conteste, c’est « l’inférence subséquente […] que seuls les récits fictionnels peuvent nous donner un accès direct, “à l’intérieur” [“inside”], des esprits des personnages, et que les esprits fictionnels sont par conséquent sui generis, ou différents par nature des esprits ordinaires » (p. 9). On peut souligner que la relation entre les deux propositions n’est pas évidente : ce n’est pas parce que les récits fictionnels donnent un accès direct aux esprits fictionnels, ou les représentent « de l’intérieur », quel que soit le sens qu’on donne à cette expression, que ces esprits sont sui generis ou différents par nature des esprits ordinaires. L’affirmation que les esprits fictionnels sont sui generis ou différents par nature des esprits ordinaires ne figure pas en tant que telle dans les travaux de Hamburger, Cohn ou Banfield 12 (elle ne figure pas non plus dans le livre de Hersant et Ramond, qui s’appuie largement sur ces travaux). Elle constitue en revanche la formulation la plus claire et la plus tranchante de la Thèse de l’Exceptionnalité selon Herman. La réfutation de cette thèse est conduite en deux moments, d’abord à propos des expériences que font les lecteurs des esprits fictionnels et des esprits ordinaires, puis à propos de l’accessibilité des esprits ordinaires. Elle s’appuie sur des travaux récents dans les sciences de l’esprit (philosophie de l’esprit, psychologie cognitive, psychologie du développement, entre autres).
Le premier argument contre la Thèse de l’Exceptionnalité, ou argument de la Médiation (la majuscule est de Herman), consiste à dire que « les rencontres avec les esprits fictionnels sont médiatisées par les mêmes heuristiques que celles qui sont utilisées pour interpréter les esprits ordinaires » (p. 18). Ces heuristiques sont notamment celles qui nous permettent d’attribuer des états mentaux à autrui, de les voir comme possiblement différents des nôtres et d’en tirer les conséquences. Elles correspondent à ce qu’il est convenu d’appeler la « psychologie populaire » (folk psychology) ou la « théorie de l’esprit » (theory of mind). Herman rappelle les deux positions qui s’opposent concernant la nature de la théorie de l’esprit : celle de la « théorie-théorie » (theory theory) qui insiste sur l’organisation proto-scientifique de la théorie de l’esprit, et celle de la « théorie de la simulation » (simulation theory), qui ne fait pas appel à des lois et à des déductions, mais insiste sur la capacité à simuler, c’est-à-dire à recréer, répliquer, imiter à l’intérieur de soi les états mentaux d’autrui. L’idée qu’il existe un ensemble de stratégies et d’heuristiques pour connaître et comprendre les esprits ordinaires, et que les auteurs et les lecteurs y ont aussi recours lorsqu’ils sont confrontés aux esprits fictionnels, est relativement peu controversée. Elle ne semble pas liée à telle ou telle position concernant la question des rapports entre les récits fictionnels et les récits ou d’autres types de discours non fictionnels. On trouve par exemple une version de la théorie de l’esprit au début de l’article de Merlin-Kajman dans le livre de Hersant et Ramond (voir p. 85).
Le deuxième argument, ou argument de l’Accessibilité, concerne les esprits ordinaires. Certains travaux en philosophie de l’esprit et en psychologie du développement suggèrent que des aspects cruciaux de la compréhension de l’esprit d’autrui sont situés dans le processus même de l’interaction incarnée. Ils insistent sur la mobilisation de formes immédiates, non mentalisantes de pratique incarnée. Ils justifient l’affirmation de Herman selon laquelle « les esprits ordinaires peuvent être expérimentés sur des modes qui sont exclus par les prémisses cartésiennes de commentatrices comme Hamburger et Cohn » (p. 18). Herman se fait ici l’écho de l’anti-cartésianisme dominant dans les sciences cognitives et la philosophie de l’esprit, où ce qui importe n’est pas la position réellement défendue par Descartes sur telle ou telle question, mais plutôt la possibilité de conceptualiser en termes de cartésianisme (de « prémisses cartésiennes », de « dualisme cartésien », etc.) telle ou telle thèse ou telle ou telle position. Il n’a cependant pas tout à fait tort sur le fait que la théorie de Hamburger et de ses continuateurs repose sur une conception aujourd’hui un peu dépassée de la connaissance et de la compréhension des esprits en dehors du domaine de la fiction narrative 13.
Le problème qui se pose ici est que les travaux sur lesquels s’appuie le deuxième argument sont radicalement opposés à ceux qui soutiennent le premier dans leur champ disciplinaire d’origine. Herman ne cherche d’ailleurs pas à le cacher : « Récemment, cependant, les analystes ont mis en question à la fois le modèle de la théorie-théorie et celui de la simulation en psychologie populaire […] » ; « Le second argument conteste l’affirmation selon laquelle […] nous devons, dans le meilleur des cas, “théoriser à propos d’une croyance invisible” ou “lire les esprits” […] » ; « Tant la théorie-théorie que la théorie de la simulation sont fondées sur l’hypothèse que l’esprit d’une autre personne (et éventuellement le sien propre) ne peut pas être connu ou expérimenté directement […]. Au contraire, des philosophes comme Gallagher (2005) et Zahavi (2007) […] rejettent l’hypothèse qu’il est impossible pour les humains “d’expérimenter directement d’autres créatures dotées d’un esprit [...]” » (p. 15) ; « En même temps, les travaux qui mettent en cause les approches basées sur la théorie-théorie ou la théorie de la simulation contestent le privilège donné aux contextes à la troisième personne sur ceux à la deuxième personne dans les recherches sur la psychologie populaire […] » (p. 16). En conséquence, le premier argument ou argument de la Médiation, qui est basé sur le modèle cognitif de la théorie de l’esprit, est, non pas renforcé, mais fragilisé par la présentation du second, l’argument de l’Accessibilité des esprits ordinaires, qui met en question ce modèle. Il en va de même de la tentative d’établir une théorie unifiée de la compréhension des esprits sur la base de la notion de théorie de l’esprit ou de lecture des esprits (mind reading) 14. On peut ajouter que le deuxième argument ne dit rien sur les esprits fictionnels, une des caractéristiques essentielles de ces esprits étant précisément le fait qu’ils ne sont pas rencontrés dans des contextes d’interaction à la deuxième personne.
Herman radicalise sa position au point de la rendre inacceptable. Tout se passe comme s’il n’y avait aucune différence de nature entre les esprits réels et fictionnels, ou comme si ces différences n’étaient que des différences secondaires. Herman aurait pu écrire simplement qu’un ensemble de travaux, parfois contradictoires entre eux, invite à nuancer l’opposition entre l’inaccessibilité des états mentaux d’autrui et la transparence des états mentaux des personnages, ou de certains personnages, pour les auteurs et les lecteurs des récits fictionnels. Il aurait pu également s’en tenir à certaines propositions acceptables, sinon consensuelles, qu’on trouve aussi dans son introduction ; par exemple : « Un modèle binaire qui voit les esprit fictionnels comme extérieurs et accessibles et les esprits réels comme intérieurs et cachés laisse place à un modèle scalaire ou gradualiste, selon lequel les esprits de toutes sortes peuvent être plus ou moins directement rencontrés et expérimentés – ceci dépendant des circonstances » (p. 9) ; ou encore : « Mais la reconnaissance de (des bénéfices cognitifs de) la séparation ontologique entre fiction et non-fiction est cohérente avec l’hypothèse que les mêmes protocoles d’engagement vis-à-vis des esprits transcendent cette séparation. En formulant cette hypothèse, mon but est de souligner l’importance qu’il y a à exploiter dans l’étude des récits fictionnels l’ensemble des outils développés dans les recherches orientées vers l’esprit […] » (p. 12). Mais cela aurait empêché la radicalisation du propos et n’aurait pas débouché sur l’affirmation de la nature foncièrement non exceptionnelle des récits fictionnels eu égard à la représentation des esprits. « La Thèse de l’Exceptionnalité », « l’argument de la Médiation », « l’argument de l’Accessibilité » : tous ces termes sont faits pour être repris, commentés, éventuellement discutés 15. L’introduction contient également une provocation à l’égard de certains auteurs regroupés sous la bannière de la « narratologie non naturelle » (unnatural narratology) : « La Thèse de l’Exceptionnalité, en tant qu’elle a été développée par des théoriciennes comme Hamburger et Cohn, et étendue dans des travaux plus récents sur des modalités de la narration fictionnelle censées être “anti-mimétiques” ou défier la compréhension habituelle de la nature de la conscience (par exemple) (voir Mäkelä, 2006 ; Richardson, 2006 ; Alber, Iversen, Nielsen et Richardson, 2010) » (p. 11) 16.
Les deux arguments de la Médiation et de l’Accessibilité sont martelés dans le « Synopsis des chapitres », même si Herman reconnaît que « les auteurs eux-mêmes ne formulent pars leurs analyses dans ces termes » : « Les deux chapitres de la première partie du volume, “Representing Mind in Old and Middle English Narrative”, appuient à la fois la Médiation et à l’Accessibilité » (p. 18) ; « Le chapitre de Monika Fludernik sur les récits en moyen anglais appuient de la même façon les arguments de la Médiation et de l’Accessibilité » (p. 19) ; « Les deux chapitres consacrés aux représentations des esprits fictionnels du XIXe siècle développent d’autres aspects de l’argument de la Médiation » (p. 21), etc. Je pense néanmoins que les auteurs des chapitres sont beaucoup moins radicaux que Herman, ce qui est confirmé par le ton général des chapitres et quelques indices plus discrets 17.

Entre l’exceptionnalisme et le similarisme

La lecture successive des deux livres fait d’abord apparaître une particularité négative du livre de Hersant et Ramond : ici, pas de formules (majusculées), pas de réfutation, pas de radicalisation des positions. L’introduction se caractérise plutôt par un souci de la nuance. On le voit, par exemple, dans la présentation du programme « Récit et vérité à l’époque classique » : « Un des principes du programme […] est de penser [l]e rapport [entre le récit factuel et le récit fictionnel] en termes dialogiques […], sans hiérarchiser les deux éléments qui entrent en dialogue, et sans considérer comme un a priori que l’essence du récit, ce serait la fiction » (pp. 5-6) On le voit aussi dans la présentation du livre lui-même : « Cet ouvrage, au-delà des éventuelles marques formelles de l’opposition, tente donc de penser, par le biais de la question de la représentation de la vie intérieure, ce qu’on pourrait appeler une culture (ou des cultures ?) de la frontière histoire/fiction à l’époque classique » (p. 13).
En refusant le privilège donné a priori au récit fictionnel dans les études littéraires, Hersant et Ramond adoptent une forme d’anti-exceptionnalisme, si l’on veut bien prendre le terme dans un sens différent de celui qu’il a chez Herman. On pourrait dire aussi que le livre de Herman reconduit le privilège donné a priori au récit fictionnel dans les études littéraires, puisqu’il ne fait quasiment aucune place aux récits non fictionnels (ce qui laisse penser qu’on est toujours l’exceptionnaliste de quelqu’un, en un certain sens). On peut également comparer l’usage que font Herman d’un côté, Hersant et Ramond de l’autre, de la référence aux travaux de Hamburger, Cohn et dans une moindre mesure Banfield 18. On a vu que Herman associe ces travaux à la promotion de la Thèse de l’Exceptionnalité et voit là une raison pour les rejeter complètement (ou presque complètement, puisqu’il reconnaît tout de même l’importance de leurs analyses linguistiques). Au contraire, Hersant et Ramond les font entrer en dialogue avec la nouvelle histoire littéraire qu’ils cherchent à développer. L’introduction du livre de Hersant et Ramond part de “ce que […] Cohn a appelé dans un essai important “transparence intérieure”, et qui est souvent considéré comme un des éléments distinctifs les plus importants du récit de fiction, du moins lorsque l’énonciation principale donne accès à l’intériorité d’autrui […]” (Hersant et Ramond laissent provisoirement de côté la question de la représentation par l’énonciateur de sa propre intériorité, qui est d’une nature théorique différente, p. 8). On retrouve ici une des formulations de la Thèse de l’Exceptionnalité selon Herman. Mais chez Hersant et Ramond, elle est immédiatement assortie de nuances : Hamburger « ne croit toutefois pas à un critère formel absolu » (p. 8), comme le montrent ses remarques sur certaines phrases du récit historique (ou du récit ordinaire, tel qu’on peut le trouver dans une lettre par exemple). L’objectif de Hersant et Ramond est de mettre cette thèse à l’épreuve des récits d’Ancien Régime : « Ces nuances une fois apportées, une question subsiste : les hommes d’Ancien Régime, qu’ils se situent du côté de la création ou de la réception, perçoivent-ils l’accès de l’énonciateur à l’intériorité des personnages de son récit comme un élément proprement fictionnel […] [ ?] », l’hypothèse alternative étant qu’ils pourraient « tolér[er]cet élément comme quelque chose de problématique, mais qui ne suffit pas à bousculer le statut pragmatique du récit » (p. 9). Ils ajoutent que la question se pose tout particulièrement pour certains genres narratifs qui tendent à estomper la frontière entre fiction et histoire, ou du moins à la problématiser, comme la nouvelle historique et tous les sous-genres du récit fictionnel à la première personne qui s’associent à un pacte de vérité fictionnel : romans épistolaires, romans-mémoires, pseudo-mémoires. La réponse à la question posée passe par l’observation attentive de récits, les plus nombreux et les plus variés possibles.
Selon Hersant et Ramond, le modèle binaire qui oppose les récits fictionnels, qui fournissent un accès privilégié à l’intériorité des personnages, et les récits factuels, qui s’abstiennent au contraire de le faire, doit laisser place à un modèle plus souple, qui prend en compte la façon dont chaque auteur « se situ[e] par rapport à un pacte tacite lié au genre pratiqué » (p. 6). Pour Hersant en particulier, deux auteurs jouent un rôle déterminant. Le premier est le duc de Saint-Simon, célèbre pour ses Mémoires, mais que Hersant sollicite également pour un autre texte (« Saint-Simon omniscient de lui-même : la “Note Saint-Simon” des Notes sur tous les duchés-pairies »). Pour dire vite, Saint-Simon représente la possibilité de la transgression du pacte générique : « […] Saint-Simon décrit la catastrophe de la princesse des Ursins au moment de sa disgrâce en rentrant dans les moindres détails de son intériorité comme ce qu’on aurait appelé autrefois un “narrateur omniscient” » (« Introduction », p. 9) ; « […] de manière absolument déroutante, Saint-Simon dépasse constamment les bornes, exhibe de manière grossière ce qu’il prétend vouloir cacher […] » (« Saint-Simon omniscient de lui-même », p. 148) ; « Et le point crucial de cette tension est l’accès de l’historien postiche à l’intériorité de son personnage [le personnage de Saint-Simon lui-même dans la “Note Saint-Simon”, qui est écrite à la troisième personne], qu’il dévoile avec tout l’aplomb de ce qu’on appelle encore parfois à propos des récits de fiction […] un “narrateur omniscient” » (ibid., p. 149). Le deuxième auteur qui joue un rôle déterminant est Voltaire. Voltaire qui a pratiqué les deux genres que Hersant considère comme les plus éloignés l’un de l’autre dans la distribution des genres narratifs de l’Ancien Régime : le conte et le récit historique 19. Voltaire qui a aussi accusé de manière nette, et ce, de plus en plus au fil des décennies, les différences formelles qui lui semblaient résulter du statut de ces deux genres. On peut renvoyer à l’article que Hersant a consacré à l’usage du discours direct dans les Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même et dans Candide 20. Voltaire est également cité dans l’introduction du livre qui nous intéresse : « On sait que pour Voltaire, l’histoire est le domaine de ce qui est “donné pour vrai ”, et ce qu’il appelle la fable, au contraire, le domaine de ce qui est “donné pour faux” 21. Ce “donné pour” suggère un contrat essentiel qui engage la relation auteur/lecteur dès que la place occupée par le texte des deux côtés de la frontière histoire/fiction devient claire, en une époque qui cependant cultive l’ambiguïté […] » ; c’est pourquoi chez Voltaire, « la rareté et la brièveté des discours directs dans ses textes historiques ou ses Mémoires contrastent avec leur abondance non retenue dans les Contes […] » (pp. 6-7). Enfin, dans l’article « Saint-Simon omniscient de lui-même », Hersant compare ponctuellement la « Note Saint-Simon » et le Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade, où Voltaire utilise le même dispositif énonciatif que Saint-Simon, mais sans céder à la tentation de « l’omniscience », sans que le sérieux référentiel soit atteint et que sa crédibilité soit notablement entamée (voir p. 148).
Situé dans la première partie du livre, l’article de Béatrice Guion, spécialiste de la théorie et de l’écriture de l’histoire à l’époque classique 22, « Fouiller dans les cœurs pour deviner les pensées : la réception des Histoires de Davila et Varillas », s’inscrit dans la droite ligne de l’introduction de Hersant et Ramond 23. L’auteure commence par mettre en perspective les réflexions de Cohn avec celles de l’époque classique : « […] l’âge classique n’a pas ignoré cette interrogation sur les frontières respectives de l’histoire et de la fiction, et précisément à propos de la représentation de l’intériorité » (p. 44). La démonstration se base ensuite sur les appréciations positives et négatives qui ont été portées sur les œuvres de deux historiens qui ont l’un et l’autre prétendu écrire une « histoire secrète », c’est-à-dire une histoire visant à dévoiler les ressorts secrets des actions publiques, politiques et militaires : l’Histoire des guerres civiles de France d’Arrigo Caterino Davila (œuvre traduite de l’italien, 1644, trad. fr. 1657) et l’Histoire de Charles X et Les Anecdotes de Florence, ou l’histoire secrète de la maison de Médicis d’AntoineVarillas (1683 et 1685). Il est d’ailleurs intéressant de noter que Varillas emploie l’expression « vie intérieure » pour caractériser l’histoire secrète ou les anecdotes, par opposition à l’histoire générale, dans la préface des Anecdotes de Florence (voir p. 46). Guion conclut que « [c’]est à cause de la place qu’elles accordent à la représentation de l’intériorité que les histoires de Davila et de Varillas ont encouru le reproche d’affabulation romanesque » (p. 56), reproche auquel s’ajoute, de la part des jésuites notamment, une condamnation d’ordre idéologique concernant le type d’intériorité (de « passions ») représenté. Dans un deuxième article, intitulé « La représentation de l’intériorité dans l’Histoire des guerres civiles de France de Davila », Guion revient sur l’œuvre de Davila, envisagée cette fois du côté de la production, dans une perspective pragmatique et stylistique qui amène à relativiser le reproche d’affabulation évoqué précédemment.
Les articles de Hersant et de Guion, mais aussi « La transparence extérieure : les Mémoires de Mme de la Guette », déjà cité, « La représentation de la vie psychique dans les Historiettes de Tallemant des Réaux » de Francine Wild, « L’usage de la première personne en prose chez Théophile de Viau : la “vie psychique” en régime de feintise » de Marie Capel, « Trouble dans le sujet : la vie psychique de Justine », déjà cité également, tous ces articles et d’autres, qu’il est impossible de citer exhaustivement, donnent crédit à l’idée d’une culture (ou de plusieurs cultures) de la frontière entre histoire et fiction à l’époque classique.
Dans leur introduction, Hersant et Ramond soutiennent également que les vies intérieures représentées dans les récits factuels et fictionnels de l’époque classique ne sont pas les mêmes. Les récits fictionnels à la première personne prennent en charge certaines dimensions de la vie intérieure que les autobiographies ou les Mémoires n’assumeront que plus tardivement. À l’inverse, certains types d’expérience intérieure restent irréductiblement attachés au récit factuel, qu’il s’agisse de la spiritualité, voire du mysticisme, ou des passions hiérarchiques qui s’expriment, par exemple, chez Saint-Simon. On peut renvoyer sur ces points aux deux articles de Jean-François Perrin et de Fabienne Boissiéras sur La Vie de Marianne de Marivaux (« De l’amnésie au souvenir jailli : le savoir de l’oubli dans La Vie de Marianne » et « Topoï et topiques dans La Vie de Marianne ») et à ceux de Michèle Bokobza-Kahan (« La vie psychique dans le témoignage religieux des Lumières ») et d’Adrien Paschoud (« Vie psychique et mystique jésuite: l’exemple de Jean-Joseph Surin »), entre autres.

Le problème du narrateur omniscient

Plusieurs citations ont déjà fait allusion au problème du narrateur omniscient dans les récits de fiction à la troisième personne. Hersant et Ramond prennent clairement position dans le débat actuellement en cours en France entre les théories communicationnelles du récit (y compris la narratologie) et les théories non communicationnelles ou poétiques, inspirée des travaux de Hamburger, Kuroda et Banfield 24. Je rappelle que pour les premières, la communication entre un narrateur et un narrataire est constitutive de tous les récits, qu’ils soient factuels (impliquant un narrateur réel ou un auteur) ou fictionnels (impliquant un narrateur fictionnel qui se substitue à l’auteur) ; tandis que pour les secondes, il peut y avoir des récits fictionnels sans narrateur fictionnel, dans la mesure où il y a un auteur considéré comme le créateur du récit. Pour les premières, la seule façon de justifier la connaissance que le narrateur a des esprits ou de l’intériorité des personnages est l’omniscience ; pour les secondes, il n’y a pas besoin d’une telle justification. En revanche, il existe des arguments (linguistiques, pragmatiques, « orientés vers le lecteur ») qui disqualifient le concept de narrateur omniscient.
Le problème du narrateur omniscient a déjà été rencontré à propos des discours rapportés, notamment à propos des monologues intérieurs de Candide, qui sont présentés comme des discours, à la forme du discours direct – scénario irréductiblement fictionnel, où la notion même de « discours rapporté » perd son sens, « puisqu’on ne voit pas comment un narrateur, quel qu’il soit, pourrait prétendre “rapporter” ce qu’un personnage n’a pas dit mais pensé ». Pour Hersant et Ramond, le monologue intérieur n’est donc pas « rapporté » par un narrateur, il est « créé » par l’auteur du texte fictionnel – « et la différence de taille se situe, encore ici, au niveau du pacte tacite avec un lecteur qui n’est pas dupe de cette invention et ne croit donc nullement à un rapport réel entre l’énonciation créatrice et le monde raconté » (pp. 7-8). Le problème est reformulé à propos de la représentation de l’intériorité (au delà de la question spécifique des monologues intérieurs présentés à la forme du discours direct) : « […] dans le récit de fiction à la troisième personne, l’accès à l’intériorité des personnages crie le fait que l’auteur invente cette intériorité et ne la rapporte nullement. Il n’y a donc pas de “narrateur omniscient”, notion considérée comme une aberration critique par tous les partisans de la théorie poétique, mais un auteur tout-puissant sur sa création » (p. 9) 25. On voit qu’il ne s’agit pas simplement de remplacer le narrateur par l’auteur (ce qui ne ferait pas quitter le champ de la théorie communicationnelle du récit). Le défaut de croyance « en un rapport réel entre l’énonciation créatrice et le monde raconté », de même qu’en un « narrateur omniscient » qui rapporterait l’intériorité des personnages, implique toute une conception de la relation du lecteur au récit fictionnel, sur laquelle se basent les théories non communicationnelles ou poétiques du récit. Hersant et Ramond reprochent également aux théories communicationnelles de minimiser ou même de neutraliser complètement la distinction entre les récits fictionnels à la première et à la troisième personne. Or, dans l’architecture des genres fictionnels du XVIIe et du XVIIIe siècle, il s’agit d’une distinction de première importance 26. En revanche, certains éléments de la théorie de Hamburger, notamment la théorie de la feintise dans le récit fictionnel à la première personne, éclairent puissamment les discours préfaciels des romans du XVIIIe siècle et le topos du manuscrit trouvé.  
L’article de Delphine Denis, « Historien ou narrateur ? Vers une approche non communicationnelle du récit de fiction à l’âge classique », redouble et prolonge un article déjà publié sur le même sujet : les Sentiments sur les lettres et sur l’histoire, avec des scrupules sur le style (1683) du sieur Du Plaisir, envisagés à la lumière des théories non communicationnelles ou poétiques du récit 27. L’élément le plus nouveau de ce traité est la codification d’une objectivité absolue de la part du romancier, appelé « l’Historien », dans le genre de la nouvelle historique : « Renonçant à tout “parti pris”, c’est-à-dire à tout investissement énonciatif dans la conduite de son récit d’une part, et dans la présentation de ses personnages d’autre part, l’“historien” doit donc se dépouiller d’une position de surplomb comme de connivence » (p. 28). De là, la proscription de nombreux éléments d’ordre structurel et de nombreux faits de style caractéristiques des romans baroques. Dans cette perspective, l’hypothèse du narrateur omniscient apparaît non seulement anachronique, mais encore contradictoire avec la spécificité du projet sémantico-pragmatique du romancier tel qu’il est décrit par Du Plaisir.
La lecture du livre de Hersant et Ramond fait ressortir l’utilisation non problématique du terme et du concept de narrateur omniscient dans le livre de Herman : “Dans le second cas, les expériences conscientes du personnages ne forment pas une histoire dans l’histoire, mais sont plutôt des événements (mentaux) rapportés par le narrateur premier » (Fludernik, « 1050-1500: Through a Glass Darkly », p. 71 ; noter le verbe « rapportés ») ; « Par exemple, (4.1) peut être interprété comme un énoncé omniscient du narrateur […] » (ibid., 84) ; « […] le narrateur remarque de façon omnisciente que Horn a connu beaucoup de chagrins dans sa vie, mais jamais autant que dans le moment présent » (ibid., 85) ; « [..] mais il est plus plausible de prendre le vers comme la remarque empathique du narrateur omniscient qui exprime son angoisse à propos du désastre imminent » (ibid., 87) ; « C’est un récit hétérodiégétique raconté par un narrateur omniscient et focalisé par Crouchback » (Palmer, « 1945-…: Ontologies of Consciousness », p. 280), etc. Aucun des contributeurs ne paraît surpris par le fonctionnement mental étrange du narrateur omniscient, bien éloigné de ce qu’on entend habituellement par théorie de l’esprit ou lecture des esprits 28. Les chapitres du livre de Herman reflètent également l’indistinction entre les récits fictionnels à la première et à la troisième personne, qui est caractéristique des théories communicationnelles du récit.

Les nouvelles directions de l’étude des esprits fictionnels

Le livre de Herman se distingue le plus nettement de celui de Hersant et Ramond par son recours aux discours parallèles sur les esprits réels 29, tels que ceux des sciences cognitives, de la psychologie sociale et évolutionniste, de la neurophénoménologie, dans l’étude des esprit fictionnels. Ce sont des discours parallèles parce qu’ils contiennent des descriptions très différentes de celles proposées traditionnellement par la narratologie, mais le présupposé du livre de Herman est qu’ils peuvent être utilisés pour rendre compte de la façon dont les lecteurs rencontrent ou font l’expérience des esprits fictionnels. Le livre de Hersant et Ramond a lui aussi recours à des discours parallèles, mais ce sont ceux de l’époque considérée : traités des passions (voir Dumora, « Critères narratologiques et cas du rêveur », pp. 39-41), traités médicaux (voir Dominique Brancher, « Opiacées et déshabillés : la psyché sous l’œil de la médecine ») 30. En revanche, il se montre peu informé des sciences cognitives d’aujourd’hui 31. Il ne met pas non plus en relation les traités d’hier et la science d’aujourd’hui, comme le fait Nicholas Dames, auteur du chapitre « 1825-1880 : The Network of Nerves », dans le livre de Herman 32.
Le livre de Herman enregistre les critiques formulées par Palmer contre l’« approche par les catégories du discours » (speech category approach) de Cohn et de ses continuateurs, basée sur l’hypothèse que les catégories qui sont appliquées aux discours fictionnels peuvent aussi être appliquées de façon non problématique aux pensées ou aux autres états mentaux fictionnels (voir « Introduction », pp. 5-7, et Fludernik, « 1050-1500 : Through a Glass Darkly », pp. 69-70). Cette approche surestime la dimension verbale de la pensée, le « discours intérieur ». Or, souligne Palmer, beaucoup de passages de récit concernant les esprits des personnages ne relèvent pas du discours intérieur, mais des humeurs, désirs, émotions, sensations, etc. Les esprits des personnages contiennent aussi des états mentaux latents. Palmer en appelle donc à un élargissement et à un approfondissement du concept d’esprit fictionnel au-delà du phénomène du discours intérieur. Le chapitre de Fludernik, « 1050-1500 : Through a Glass Darkly », s’appuie sur les analyses de Palmer aussi bien que sur ses propres travaux antérieurs pour donner un nouvel élan à la recherche sur la représentation des esprits fictionnels dans le récit médiéval. Fludernik distingue pour sa part les « pensées », entendues comme « des unités de l’esprit verbalisées, suffisamment concrètes pour être articulées sous une forme propositionnelle, comme par exemple les arguments et le discours intérieur réel » (et, dans les récits fictionnels, les soliloques). « Au-delà de ce domaine, il y a des demi-pensées inarticulées, vagues, qui passent à travers l’esprit dans être capturées et moulées dans une forme syntaxique spécifique » (selon Fludernik, les pensées de cette sorte sont moins pertinentes pour le récit médiéval que pour le récit moderniste, par exemple). « En second lieu, les émotions échappent clairement au domaine verbal (même si elles sont verbalisables) et peuvent couvrir un large spectre allant des humeurs et des prédispositions à des sentiments plus spécifiques comme la peur, la joie, la colère, la frustration, ou encore la jalousie » (p. 73). « Les attitudes, croyances et conceptions appartiennent à une autre catégorie de contenu mental » (pp. 73-74). Les deux dernières catégories envisagées sont d’une part, les sensations, d’autre part, les idées et les souvenirs, deux aspects de la conscience qui, selon elle, sont difficile à localiser. Fludernik étudie ensuite les modes de représentation de ces différents états et processus mentaux, verbaux et non verbaux, dans les récits en moyen anglais. Un de ses principaux apports concerne les descriptions de gestes et de mouvements indiquant des états d’esprit émotionnels, notamment le trouble ou le bouleversement, qu’elle appelle aussi « index d’intériorité narratifs » (p. 75).
L’influence de Palmer est également sensible dans l’intérêt porté par certains chapitres du livre de Herman à l’idée d’un esprit collectif ou interpersonnel, par opposition aux esprits individuels des personnages. C’est le cas dans le chapitre de Fludernik, déjà cité, qui consacre une section à la « Conscience collective ou de groupe » dans le récit médiéval (tous les exemples sont empruntés à La Vie de Sainte-Catherine de Capgrave ; Fludernik mentionne également en note un exemple emprunté à Chaucer). C’est le cas également dans le chapitre de Hart, « 1500-1620 : Reading, Consciousness, and Romance in the Sixteenth Century », même si l’auteure insiste surtout sur les éléments de différenciation historique : « À en juger par la comparaison entre les textes postérieurs au XVIIIe siècle (essentiellement modernes et postmodernes) étudiés par Palmer et le roman grec [ancient romance], dont Héliodore est l’exemple prototypique, il apparaît que ces multiples consciences enchâssées ont connu un développement historique et d’autre part, que ces consciences enchâssées constituent un développement relativement récent en tant que forme artistique » (p. 118). Elle voit dans le roman de la Renaissance (Renaissance romance) un stade intermédiaire entre le protoroman (early romance) 33 et les récits présentant des sous-cadres inter- et intramentaux plus complexes.
Les chapitres de Zunshine, « 1700-1775 : Theory of Mind, Social Hierarchy, and the Emergence of Narrative Subjectivity » et de Palmer, « 1945-… : Ontologies of Consciousness », peuvent être rapprochés par l’usage qu’ils font de la théorie de l’esprit (théorie de l’attribution chez Palmer). Le chapitre de Zunshine s’intéresse à un scénario récurrent dans le roman du XVIIIe siècle : un protagoniste acquiesce à la demande d’assistance d’un étranger apparemment démuni sous le regard attentif d’un observateur intéressé, qui peut être un admirateur secret, un parent ou un ami (Zunshine parle de scènes de bienfaisance observée, reconceptualisées en termes de scénarios de lecture des esprits triangulée). Pour rendre compte de la popularité de ce scénario, Zunshine propose d’abord des explications historiques, fondées sur le discours sentimental du XVIIIe siècle  ou sur des constats socio-politiques sur l’organisation sociale et économique au XVIIIe siècle , avant de recourir au concept de théorie de l’esprit ou de lecture des esprits. Selon elle, « notre grand intérêt pour la lecture des esprits fictionnels – dont notre intérêt pour la lecture tripartite des esprits représente un sous-ensemble important – s’appuie à la fois sur notre histoire évolutionniste et sur l’exercice quotidien de nos capacités en Théorie de l’Esprit » (p. 170). Tout son effort dans ce chapitre consiste à articuler l’explication historique, relative à des problèmes ou à des contextes socio-historiques spécifiques, et l’explication cognitive, basée sur l’idée de phénomène cognitif universel. Le chapitre de Palmer s’appuie sur un corpus de quatre romans, considérés comme représentatifs du néoréalisme ou antimodernisme, du modernisme et du postmodernisme dans le cas des deux derniers. Il utilise l’approche par la théorie de l’attribution, définie comme la façon dont les narrateurs (ou les auteurs ?), les personnages et les lecteurs attribuent des états d’esprits aux autres personnes ainsi qu’à eux-mêmes, croisée avec une approche en termes de mondes. L’enjeu est de déterminer « si les textes présentent une dominante ontologique opposent des défis particuliers à la théorie de l’attribution, les processus d’attribution opérant de façons fondamentalement différente pour les textes qui mettent en avant la fabrication et la destruction des mondes » (p. 274 ; l’idée de dominante ontologique associée au postmodernisme est empruntée à Brian McHale). Ce chapitre est particulièrement représentatif de la théorie communicationnelle du récit, avec tous les problèmes évoqués précédemment (voir pp. 273, 278, 280, ainsi que la section consacrée à Expiation de Ian McEwan, pp. 288-296).
Le chapitre de Herman, « 1880-1945: Re-minding Modernism » se distingue des précédent en ce qu’il s’appuie sur un autre paradigme au sein des sciences cognitives, le paradigme énactiviste (qui, on l’a vu, propose une explication de la cognition sociale d’une nature toute différente et même opposée à celle de la théorie de l’esprit). L’approche énactive de la cognition donne toute son importance à l’incarnation des processus cognitifs. Le principe directeur général de l’énaction est que le monde de l’expérience vécue est constitué dans le couplage sensorimoteur entre les agents intelligents et l’environnement social et matériel avec lequel ils doivent négocier. Cette approche permet à Herman de porter un regard neuf sur le roman moderniste. D’un côté, il conteste la caractérisation familière de cette période comme le « tournant vers l’intérieur » du récit, c’est-à-dire un mouvement qui va de l’environnement extérieur, matériel et social vers l’intériorité et la psychologie des personnages. De l’autre, il propose une reconceptualisation intégrante du roman moderniste : « Dans cette perspective, les techniques modernistes de représentation de la conscience ne sont plus interprétées comme les signes d’un tournant vers l’intérieur ou comme la révélation de profondeurs psychologiques séparées du monde matériel, mais peuvent être considérées comme un effort pour mettre en lumière la façon dont les esprits forment et sont formés par un environnement expérientiel plus vaste, par l’intermédiaire des possibilités ou occasions d’action que cet environnement fournit » (pp. 249-250). Il analyse ces interactions entre l’esprit et l’environnement expérientiel qui l’entoure dans des scènes de Portrait de l’artiste en jeune homme de James Joyce et de Mrs Dalloway de Virginia Woolf.
Toutes ces propositions sont extrêmement stimulantes, surtout pour des lecteurs relativement peu informés des progrès de la narratologie cognitive, comme peuvent l’être les lecteurs français. Un problème se pose néanmoins. Tous les auteurs du livre de Herman pratiquent ce qu’on peut appeler une reconstruction rationnelle, pour reprendre l’expression de Richard Rorty 34, basée sur l’idée que, du point de vue de la représentation de la conscience, les récits fictionnels du passé peuvent être lus en dialogue avec les travaux des penseurs contemporains dans le domaine des sciences cognitives. (Certains auteurs plus que d’autres s’efforcent de combiner la reconstruction rationnelle et la reconstruction historique, basée sur l’idée que les récits fictionnels du passé prennent d’abord sens dans un contexte historique particulier : c’est le cas de Lockett, Hart ou Zunshine.) La reconstruction rationnelle doit cependant éviter un écueil, qui est celui de l’anachronisme. Il est pointé par Eva von Contzen dans « Why Medieval Literature Does Not Need the Concept of Social Minds : Exemplarity and Collective Experience » (2015) 35, dont un passage est consacré à la section « Conscience collective ou de groupe » du chapitre de Fludernik. Pour Contzen, on peut s’interroger sur le degré auquel le deuxième exemple analysé par Fludernik est réellement emblématique d’une conscience collective. Elle y voit plutôt, pour sa part, un résumé de l’opinio communis : « Je décrirais plutôt cet exemple et d’autres comme un procédé rhétorique de condensation, employé pour des raisons pragmatiques, et non comme le reflet d’une activité intermentale. Au lieu de distribuer le même message entre plusieurs locuteurs, le poète condense les mots en un discours à l’unisson » (Contzen, 2015, p. 144). Elle tire argument de la nécessité de réduire le nombre de locuteurs et de voix dans le contexte oral-aural des pratiques de lecture médiévale. Sa conclusion établir que « [l]’ “esprit” médiéval […] n’est clairement pas le type d’esprit qui sous-tend le modèle de Palmer et la théorie narrative cognitive en général ». Elle critique le « tournant cognitif » pour nous avoir fait croire, « peut-être inconsidérément, que le fonctionnement de l’esprit, en tant que capacité humaine de base, était universel et, de façon cruciale, anhistorique », ajoutant que « eu égard aux esprits sociaux, en ce qui concerne la représentation du personnage et de la pensée collective, il semble que ce ne soit clairement pas le cas » (ibid., p.  151).

*

Pour finir, on peut se demander ce que la réflexion de Hersant, Ramond et leurs collaborateurs sur la question de la relation entre les représentations de l’esprit dans les récits factuels et fictionnels apporte à celle de Herman et de son équipe sur la question de la relation entre les esprits fictionnels et les esprits en dehors de la fiction. Elle apporte tout d’abord une vraie comparaison entre les récits factuels et fictionnels eu égard à la représentation des esprits, qui manque notablement dans le livre de Herman. Il apparaît aussi à travers cette enquête que les choses sont plus compliquées qu’on aurait pu le croire au départ, en raison : premièrement, de l’existence probable d’un pacte lié au genre de récit pratiqué, mais d’un pacte qui peut toujours être transgressé ; deuxièmement, de l’existence attestée de formes hybrides, entre fiction et non-fiction, et de supercheries liées au genre (de ce point de vue, les XVIIe et XVIIIe siècles français ne sont pas sans liens avec l’époque actuelle). Cette prise en compte de la complexité peut être rapprochée de la critique de la Thèse de l’Exceptionnalité chez Herman. Elle n’entraîne pas pour autant l’adoption de la thèse opposée, qu’on peut appeler la Thèse de la Similarité, et l’équipe de Hersant et Ramond ne serait certainement pas prête à accepter l’affirmation de la nature foncièrement non exceptionnelle des récits fictionnels eu égard à la représentation des esprits. Il y a manifestement des différences, qui tiennent aux modes de représentation et à l’ampleur de cette représentation, mais aussi aux types d’intériorité représentés. Réciproquement, ce que le travail de Herman et de ses collaborateurs apporte à celui de Hersant et Ramond réside essentiellement dans les nouvelles directions de recherche que le premier ouvre dans l’étude des esprits fictionnels. Cet apport, selon moi, prime de beaucoup sur l’apport réalisé dans le domaine de l’histoire littéraire. 36 On a vu aussi que certaines analyses n’étaient pas exemptes d’anachronisme. Cet apport primordial se résume dans : l’utilisation de discours parallèles sur les esprits réels pour l’étude des esprits fictionnels ; la critique du biais en faveur de la pensée verbalisée ou du discours intérieur (ou le complément apporté à l’étude de la pensée représentée sous forme de discours, qui est historiquement attestée, par l’étude d’autres aspects de la pensée) ; la nécessité d’étudier non seulement les esprits individuels des personnages, mais aussi les esprits collectifs ou interpersonnels, lorsque cette étude est pertinente littérairement et historiquement ; les perspectives ouvertes par le paradigme énactiviste dans l’étude des relations entretenues par les personnages entre eux et avec leur environnement.
Je terminerai par deux remarques supplémentaires.
L’analyse de Zunshine sur les scènes de bienfaisance observée gagnerait à être reprise dans une perspective comparatiste : par exemple, en explorant le corpus français de la même époque. L’équipe de Hersant et Ramond comporte d’excellents spécialistes du roman du XVIIIe siècle et peut-être serait-il intéressant de regarder aussi du côté des récits factuels, des Mémoires par exemple. L’articulation entre l’explication historique, relative à des problèmes ou à des contextes socio-historiques spécifiques, et l’explication cognitive, basée sur l’idée de phénomène cognitif universel, devrait s’en trouver renforcée et enrichie. Je pense que cette articulation est précisément l’un des enjeux majeurs de la théorie narrative pour les années à venir.
L’équipe de Herman n’a aucune réflexion sur les genres narratifs, factuels et fictionnels, notion qui apparaît au contraire centrale dans la problématique de Hersant et Ramond. Réciproquement, la notion d’un pacte lié au genre de récit pratiqué dans le livre de Hersant et Ramond n’est à aucun moment reliée à une réflexion de type cognitiviste ou « orientée vers l’esprit » sur le statut référentiel des textes (comme lorsque Herman parle des « bénéfices cognitifs de la séparation ontologique entre fiction et non-fiction», p. 12 ; je supprime les parenthèses). Ne pourrait-on imaginer comme précédemment une articulation de l’explication historique et de l’explication cognitive sur ces questions particulières ?
Étrangement, ces deux livres venus d’horizons très différents se complètent et s’éclairent mutuellement, et on se prend à rêver à l’organisation d’un colloque qui ferait se rencontrer l’équipe de Herman et celle de Hersant et Ramond : la narratologie cognitive et l’histoire littéraire nouvelle, la volonté de diachronisation et l’effort d’interrogation théorique, l’engagement résolu dans de nouvelles directions de recherche et la prudence jointe à l’esprit critique des spécialistes de l’époque classique.

 

 

 

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1 L’expression vie psychique dans le titre du livre de Hersant et Ramond fait écho au titre de la traduction française de l’ouvrage de Dorrit Cohn (voir Cohn, 1981 [1978]). Le titre du livre de Herman fait également écho au titre de Cohn (voir Cohn, 1978).

2 Voir infra Références bibliographiques.

3 Toutes les traductions sont de moi.

4 Excepté dans le troisième chapitre, « 1500-1620 : Reading, Consciousness, and Romance in the Sixteenth Century » (p. 104), qui mentionne la date de l’introduction de l’imprimerie en Angleterre, 1476, arrondie à 1500.

5 Excepté dans le chapitre de Fludernik, déjà cité, où quelques pages sont consacrées à La Vie de Sainte-Catherine d’Alexandrie de John Capgrave (voir pp. 90-92).

6 Les auteurs français utilisent plus rarement le terme « esprit » dans ce contexte. Voir à nouveau le titre de Cohn (1981 [1978]).

7 Voir Hersant, Pilorge, Ramond et Raviez, éds (2011).

8 Voir Hersant and Ramond, éds (à paraître).

9 Voir Hersant (2009) et (2015).

10 Voir, entre autres, Ramond (2012).

11 Ceux d’Ann Banfield qui s’imposent également à l’esprit sont mentionnés dans d’autres passages de l’introduction (voir pp. 3, 7, et 32, n. 7).

12 Je laisse de côté la différence, qui est bien une différence de nature et non de degré entre les esprits fictionnels qui n’existent que dans un monde fictionnel projeté par un texte, et les esprits ordinaires qui existent dans le monde réel de référence, car ce n’est pas cette différence qui intéresse Herman ici (voir « Introduction », pp. 12 et 33, n. 10).

13 Marie Capel fait le même constat dans le livre de Hersant et Ramond, mais attribue ce caractère dépassé à l’influence de la phénoménologie husserlienne (voir « L’usage de la première personne en prose chez Théophile de Viau : la “vie psychique” en régime de feintise », p. 203 et n. 1).

14 Ce point est bien développé dans Iversen (2013a, pp. 144-148) et (2013b, pp. 102-103).

15 Voir par exemple Brockmeier (2013, p. 124) ; Iversen (2013a, pp. 144-148) ; Iversen (2013b, pp. 99, 102) ; Nielsen (2013, p. 69) ; Caracciolo (2014a, pp. 30-32, 36, 40) ; Caracciolo (2014b, pp. 113-114) ; Korthals Altes (2014, p. 260, n. 8) ; Nielsen (2014, p. 256) ; Ciccoricco (2015, pp. 17-18) ; Rantanen (2015, pp. 149-151) ; Richardson (2015, p. 41) ; Vincent (2015, p. 203); Caracciolo (2016, 38-39, 41, 63).

16 Voir la réponse des « narratologues non naturels » dans Iversen (2013a, pp. 144-148) ; Iversen (2013b, pp. 99, 102) ; Nielsen (2013, p. 69) ; Nielsen (2014, p. 256). Ces auteurs donnent des exemples convaincants d’esprits fictionnels qui sont « sui generis ou différents par nature des esprits ordinaires », selon la formulation de Herman, « non naturels » dans leur propre formulation.

17 Voir par exemple Zunshine (2015, p. 191, n. 7) : « Pour une réplique suggestive à la “Thèse de l’Exceptionalité”, voir Stefan Iversen [...] » (référence à Iversen, 2013a).

18 Hersant et Ramond expliquent la raison pour laquelle ils s’attardent moins sur les travaux de Banfield que sur ceux de Hamburger, raison qui tient à la présence plus faible et surtout moins significative du discours indirect libre dans les récits de l’époque classique, comparés aux récits ultérieurs (voir « Introduction », p. 11). Leur livre contient cependant la traduction inédite d’un texte de Banfield sur Cohn (voir « Les modes de représentation de la vie psychique dans le roman. Un point de vue linguistique », pp. 77-82).

19 Voir Ramond et Hersant (2011, pp. 166-167) et surtout Hersant et Jomand-Baudry, éds (à paraître).

20 Voir Hersant (2011b). La comparaison entre le conte et le récit historique est reprise et développée dans Hersant (2015, troisième partie).

21 Ces célèbres définitions figurent au début de son article « Histoire » pour l’Encyclopédie (note de M. H.).

22 Voir Guion (2008).

23 Cet article est d’ailleurs cité dans Hersant (2015, p. 362, n. 71).

24 Voir Patron (2016 [2009], deuxième partie) pour une vue d’ensemble, sur laquelle s’appuient largement Hersant et Ramond. Voir aussi, pour une application des théories non communicationnelles ou poétiques aux récits fictionnels d’Ancien Régime, Badiou-Monferran et Denis, éds (2012).

25 On peut remarquer la ressemblance entre ces formulations et celles de Richard Walsh dans Walsh (2007 [1997], notamment pp. 69 et 73). Cependant, on ne décèle aucune preuve de ce que le livre de Walsh ait été lu par Hersant et Ramond.

26 Ce que Hersant et Ramond ne disent pas, mais qu’il convient de rappeler ici, c’est que le concept moderne de narrateur, c’est-à-dire de narrateur différent de l’auteur, est né dans les premières descriptions théoriques du roman-mémoires ou roman à la première personne au sens strict du terme (voir Patron 2016 [2009], pp. 15-18 et passim).

27 Voir Denis (2012). Pour le texte complet de l’ouvrage de Du Plaisir, voir Esmein, éd. (2004, pp. 709-814).

28 De ce point de vue, les « narratologues non naturels » sont plus perspicaces, puisqu’ils considèrent le narrateur omniscient comme un narrateur « non naturel » (voir par exemple Alber, 2016, pp. 87-103).

29 L’expression « discours parallèles » est empruntée à Palmer (2004, p. 14 et passim). Voir aussi (2010, p. 9).

30 Le seul discours parallèle qui ne soit pas de l’époque considérée est celui de la psychanalyse, auquel il est fait allusion dans quelques articles (voir pp. 85, n. 1, 133 et 164) et auquel Boissiéras a recours dans « Topoï et topiques dans La Vie de Marianne ».

31 Cette observation qui vaut pour l’ensemble du livre ne vaut pas pour certains de ses auteurs, dans leurs livres personnels : voir en particulier Dumora (2005), qui convoque de nombreux travaux scientifiques sur le sommeil et le rêve.

32 Leslie Lockett, auteure du chapitre « 700-1050 : Embodiment, Metaphor, and the Mind in Old English Narrative », met également en relation de façon intéressante les modèles populaires de l’esprit, opposés aux modèles des traités didactiques, informés par le néoplatonisme et la pensée chrétienne, et la science d’aujourd’hui.

33 On peut signaler ici que l’histoire littéraire française appelle « romans » ce que les historiens anglophones désignent sous le terme de romances et ne reconnaît pas de séparation entre le roman/romance et le roman/novel. Voir à nouveau Esmein, ed. (2004) et Esmein-Sarrazin (2008).

34 Voir Rorty (1989 [1984], p. 58). Je fais l’hypothèse que la distinction entre reconstruction rationnelle et reconstruction historique établie par Rorty pour l’histoire de la philosophie peut être extrapolée à l’histoire de la théorie narrative.

35 Prix James Phelan pour le meilleur essai publié dans Narrative en 2015.

36 On peut en dire autant des travaux individuels de certains des contributeurs du livre : voir par exemple Zunshine (2006).

 

 

 

 

Article publié le 11 septembre 2017

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