Usages et théories de la fiction

Entretien avec Françoise Lavocat

Françoise Lavocat est professeur de littérature comparée à l’Université Paris 7 Denis Diderot et membre de l’Institut Universitaire de France. Elle a notamment publié Arcadies malheureuses. Aux origines du roman moderne (Champion, 1999), Le syrinx au bûcher. Pan et les satyres à la Renaissance et à l’âge baroque (Droz, 2004). Elle dirige le Centre de recherches comparatistes sur les littératures anciennes et modernes.

 

par Alexandre Prstojevic

Alexandre Prstojevic Usages et théories de la fiction, dont vous êtes le maître d’œuvre, regroupe les travaux de neuf de vos collaborateurs : Florence de Chalonge, Otto Pfersmann, Anne Duprat, Mathieu de La Gorce, Lise Wajeman, Ariane Bayle, Laurence Giavarini, Guiomar Hautcoeur, Jacques Dürrenmatt. Ils mettent la théorie contemporaine de la fiction à l’épreuve des œuvres publiées dans la période marquée par le passage de la société de la mémoire à celle de la culture (XVIe - XVIIIe siècle). Comment avez-vous eu l’idée de cet ouvrage dont l’un des traits majeurs est, outre l’originalité évidente de l’approche choisie, une étonnante homogénéité des textes qui le composent?

Françoise Lavocat L’unité du volume tient aux modalités du travail auquel il a abouti. Les collaborateurs ont participé, pendant deux ans (2002-2003) à un séminaire, dans le cadre du groupe de recherches C.L.A.M (centre de recherches comparatistes sur les périodes anciennes et modernes), à l’Université Paris 7-Denis-Diderot. Chaque contribution a été présentée oralement, discutée, puis à nouveau soumise à la discussion collective sous sa forme écrite. Nous sommes ainsi parvenus, non pas à une annulation des divergences (chaque approche à sa spécificité), mais à une véritable convergence de vues. Nous n’avons d’ailleurs pas retenu toutes les propositions, certaines d’entre elles nous paraissant trop éloignées de notre problématique et de notre méthode telles que nous les avions définies : 1) la confrontation de textes de la période moderne (XVI-XVIIIe s) et d’un corpus de textes théoriques contemporains donné ; 2) une réflexion sur la pertinence d’une historicisation de la notion de fiction ; 3) une définition de la fiction en termes de monde, d’univers, en axant le débat sur la notion d’immersion, sur la façon dont la fiction se pense et se représente elle-même, ou sur les usages de la fiction (en particulier comme outil de persuasion).

Nous avions associé ce travail à des discussions autour des ouvrages de Thomas Pavel (Univers de la Fiction,  1986, 1988 pour la version française), Dorrit Cohn (Le propre de la fiction 1999, 2001), et Jean-Marie Schaeffer (Pourquoi la fiction, 1999). Cette réflexion préliminaire nous a dotés de références communes, qui n’étaient pas a priori familières à tous les chercheurs engagés dans ce projet, d’autant plus que certains de ces ouvrages étaient parus récemment.

Nous avons donc confronté nos objets, très divers, au même questionnement théorique, ce qui a infléchi durablement, pour la plupart d’entre nous, nos options et nos projets. Trois des collaborateurs de l’ouvrage (Ariane Bayle, Mathieu de la Gorce, Lise Wajeman), qui étaient à cette époque en train de rédiger leur thèse de doctorat, l’ont achevée en intégrant cette optique nouvelle : ce travail a ainsi modestement contribué à un renouvellement des recherches sur les seizième et dix-septième siècles, surtout dans le domaine comparatiste.

J’ai en outre sollicité les contributions de Florence de Chalonge et d’Otto Pfersmann (qui ne sont pas membres de ce centre de recherches), afin d’élargir le questionnement à une perspective interdisciplinaire. L’ambition était de fournir un état de la question sur le traitement de la notion de fiction en linguistique et en droit ; l’objectif, pour nous, était de mieux cerner le propre de la fiction littéraire (l’article d’Otto Pfersmann va dans cette direction, puisqu’il récuse toute similitude entre fiction littéraire et fiction juridique). Mon regret est de ne pas avoir plus largement ouvert notre travail à des spécialistes d’autres champs disciplinaires, en particulier la logique et les sciences cognitives. Mais cela se poursuit actuellement dans d’autres lieux, par exemple dans le cadre d’un groupement de centres de recherches (G.D.R) dirigé par Jean-Marie Schaeffer, dont le C.L.A.M est partie prenante.

A. P. Dans l’introduction, aussi bien que dans l’article « Fiction et paradoxes : les nouveaux mondes possibles à la Renaissance », vous constatez que le jeu est omniprésent dans les œuvres publiées entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Peut-on généraliser à partir de ce constat et voir dans la représentation du jeu dans la diégèse, une propriété constituante de la fiction au seuil de notre modernité?

F. L. La présence du jeu est surtout repérable dans les univers pastoraux et picaresques. J’ai fait l’hypothèse que le jeu y avait une dimension métafictionnelle : il figure l’arrangement du hasard et de la nécessité propre à chaque univers fictionnel, et dans certains cas, le type de relation qu’il entretient avec le lecteur et la tradition qui l’a précédé.  Je ne crois pas que ce soit le cas dans les romans de chevalerie ou les grands romans héroïques comme Persilès et Sigismonde ou le Polexandre. Seule une étude plus systématique des éléments constitutifs des univers fictionnels à cette période (que j’ai en cours) permettrait de déterminer la place et le statut des jeux dans la fiction narrative, d’en dresser, peut-être, une typologie.

En revanche le jeu est bien une modalité essentielle du rapport à la fiction au dix-septième siècle. Les pseudonymes romanesques dans les sociétés galantes, les académies, les jeux de société, les déguisements (en particulier mythologiques et pastoraux), les ballets (tant que la cour y danse elle-même), les clefs, sont les formes que prend ce jeu opérateur d’immersion fictionnelle. Cette composante ludique du rapport à la fiction (déjà présente dans des tournois « littéraires », imitant explicitement les romans de la table ronde, dès le treizième siècle) est à mettre en relation avec un dispositif sémiotique fondé sur l’allégorie. Je pense que celui-ci se dissout à la fin du dix-septième siècle.

A. P. La proposition qui marque votre ouvrage est celle du rejet de la conception « narratocentrique de la fiction » défendue notamment par Dorrit Cohn. Pourriez-vous revenir, pour les besoins de cet entretien, sur les principales objections faites à la vision prônée par l’auteur de Transparence intérieure ?

F. L. La perspective de Dorrit Cohn, qui appartient à la tradition de la narratologie classique, diverge explicitement des théories contemporaines de la fiction. Dorrit Cohn elle-même s’en explique avec vigueur dans le premier chapitre du Propre de la fiction, intitulé, justement « Mise au point ».

Dorrit Cohn y récuse purement et simplement un usage du concept de fiction qui excéderait la définition de « texte littéraire, non référentiel et narratif ». Elle estime que l’usage actuel qui en est fait est source de confusion, et récuse toute approche interdisciplinaire, qu’elle soit philosophique, logique ou psychanalytique. Elle critique l’emploi qu’en fait Thomas Pavel dans Univers de la fiction, où il est interchangeable, selon elle, avec le mot d’ « imaginaire ». Il est clair que les questions que se pose justement Thomas Pavel dans ce livre (le statut ontologique des personnages de fiction, la valeur de vérité des énoncés fictionnels, la relation de la fiction avec ses univers de référence) ne sont pas pertinentes dans le cadre d’une réflexion qui entend se cantonner « à l’intérieur de frontières de la narratologie » (p. 168).

Le recouvrement de la notion de fiction par celle de récit empêche l’appréhension de la fiction en terme de « monde », qui convient parfaitement, par exemple, pour des univers comme ceux de la pastorale ou de la science-fiction. L’hypothèse théorique de la fiction comme monde suscite des outils d’exploration nouveaux ; Lubomir Dolez¹el, dans Heterocosmica (1998), examine les éléments constituants de ces mondes (« building blocks ») ; Richard Saint-Gelais[1] s’intéresse à la capacité de ces mondes à en générer d’autres, et des personnages « transfictionnels » à passer de l’un à l’autre ; Marie-Laure Ryan étudie les relations d’accessibilité entre les mondes[2].

Je ne partage pas non plus les vues de Dorrit Cohn sur la « non-référentialité de la fiction », bien qu’elle en propose dans Le propre de la fiction une conception très nuancée. Elle l’appelle d’ailleurs aussi « auto-référentialité » (notion que je récuse). Dans une conception que je reprends à mon compte d’après Marie-Laure Ryan, Dorrit Cohn développe aussi l’idée que « l’œuvre de citation crée elle-même, en se référant à lui, le monde auquel elle se réfère » (p. 29). Mais elle affirme aussi, ce qui relative énormément l’idée de non-référentialité, que le texte de fiction peut se rapporter au monde réel, extérieur à lui, quoique ce ne soit pas « obligatoire » (p. 31). Je pense qu’il faut accorder une attention beaucoup plus rigoureuse à la façon dont une œuvre « crée son univers de référence » (qui est justement l’univers de la fiction), réfère ou non au monde extérieur, si possible dans une perspective historique, en étudiant, par exemple, le fonctionnement de la référence allégorique.

Cependant, il ne s’agit pas non plus de faire table rase des apports de la narratologie. On y a recours, comme Lubomir Dolez¹el et Marie-Laure Ryan, dès que l’on veut décrire la façon dont se construit un univers fictionnel. La distance par rapport aux thèses de Käte Hamburger ou de Dorrit Kohn vient plutôt de l’ouverture des théories contemporaines de la fiction à des questions négligées, voire barrées par la narratologie (la référence, le personnage, etc).

A. P. Dans plusieurs articles qui composent Usages et théories de la fiction revient ­ de façon explicite ou implicite ­ la question d’opérateurs de la fictionnalité. Existe-t-il des opérateurs universels ? Ne serait-il pas plus juste de prendre aussi en compte la date de rédaction de l’ouvrage et le contexte social dans lequel il apparaît ? Autrement dit, une « théorie de la lecture » pour ne pas dire une « historiographie de la lecture », ne constitue-t-elle pas l’autre et indispensable pôle des conceptions que votre ouvrage entend mettre à l’épreuve ?

F. L. La question des opérateurs de fictionnalité est complexe. Elle recouvre au moins deux problèmes.

Le premier, que je laisse aux logiciens, est de savoir si « il est fictionnel que » est un opérateur modal du même type que « il est possible que ». Cette hypothèse permet de résoudre de façon simple la question de la valeur de vérité des énoncés fictionnels, et de postuler que le monde fictionnel peut-être assimilé à un monde possible, et donc qu’on peut lui appliquer, dans une certaine mesure, des outils d’analyse inspirés de la logique des mondes possibles. Dans ce sens-là, l’opérateur de fictionnalité est universel et transhistorique.

Si en revanche on entend par opérateurs (comme je l’ai fait dans cet article), des embrayeurs de fictionnalité, comme le jeu, ou le paradoxe, il est évident que ceux-ci sont historiquement déterminés et ne fonctionnent que pour un certain type de textes. Je pense qu’il s’agit là d’un riche champ d’investigation, dans lequel il faut inclure la nomination des personnages, les paratextes fictionnalisants. Je travaille actuellement sur l’hypothèse d’une résorption progressive de ces embrayeurs entre le seizième et le dix-septième siècle (à propos du paratexte que constituent les notes, l’article de Jacques Durrenmatt dans Usages et Théories de la fiction va dans ce sens)..

Dans cette perspective, la réception est prise en compte, y compris dans sa dimension historique et sociale, par exemple à travers les dispositifs qui enclenchent une attitude mimétique ludique. Je remarque cependant que si plus personne ne se déguise en Lancelot pour participer à un tournoi, les jeux vidéos et les grandes sagas féeriques actuelles génèrent quantité de pratiques ludiques d’immersion. En outre, dès que l’on s’interroge sur le statut d’un personnage fictionnel il est difficile de ne pas intégrer « la possibilité subjective » : une œuvre de fiction qui comporte des fantômes, des satyres et des sorcières n’a pas tout à fait le même statut si l’on considère que ces entités sont possibles dans la nature ou pas. Je fais même l’hypothèse que cette indécidabilité provisoire, dans un contexte historique donné, est particulièrement féconde pour l’émergence et le développement d’univers fictionnels nouveaux (cela s’applique peut-être à la science-fiction aujourd’hui).

Cependant, la compatibilité entre les théories de la lecture radicales (Stanley Fish, 1982[3] ; Saint-Gelais,1994[4]) et une approche plutôt fondée sur la logique analytique n’est pas assurée. Il ne saurait en effet être question, d’un point de vue logique, de considérer que le sens est produit par la lecture, et il n’est pas du tout équivalent qu’un objet ait un référent ou pas (Frege, 1879[5]). En outre, la prise en compte de la lecture implique des difficultés redoutables, surtout dans une perspective diachronique : il n’est pas très facile de cerner comment un lecteur, à une époque donnée, statue sur la qualité ontologique de telle entité fictionnelle. Par ailleurs, comme le signale Saint-Gelais, il n’est pas du tout certain que « les opérations lecturales » consistent à évaluer le statut logique des univers de fiction. Il s’agit plutôt de réglages complexes, de procédures mentales passant par des inférences : l’ingénieuse théorie d’Umberto Eco de la lecture « coopérative », d’interprétations ébauchées et écartées par le lecteur à chaque « disjonction de probabilités » ne suffit pas à décrire ces opérations, surtout du point de vue des théories cognitivistes actuelles. Mais je ne suis pas sûre que celles-ci s’intéressent encore au texte ou à la façon dont est construit un univers fictionnel.

La voie, comme le suggère Thomas Pavel en 1986, consiste peut-être dans une conciliation de ces approches, en tout cas de quelques uns de leurs aspects. La plupart des auteurs du volume se sont interrogés sur les effets de la fiction, question qui a trait à la pragmatique, dans un contexte historique et culturel particulier (A. Bayle, L. Wajeman, M. de la Gorce, G. Hautcoeur, L. Giavarini...). Anne Duprat et Guiomar Hautcoeur montrent, l’une dans des écrits des poéticiens des XVIe et XVIIe siècle, l’autre par une analyse comparée de Cervantès et de l’abbé Prévôt, comment les pouvoirs de la fiction sont d’abord associés « à un exercice particulier de l’imagination » avant de servir à « une expression du sujet » (p. 84), liée à la naissance d’une « psychologie du personnage » (p. 235). Selon Laurence Giavarini, le « non-lieu social et moral » de la fiction, tel qu’il est construit par l’écriture libertine, dit quelques aspects de la réalité sociale des auteurs au dix-septième siècle (p. 210). C’est dire que les enjeux liés à l’historicité et à la réception de la fiction n’ont pas été étrangers aux préoccupations de ce collectif. Cependant, il est vrai qu’en ce qui me concerne, je cherche actuellement plutôt des outils du côté des théories logico-sémantique que du côté de la pragmatique.

A. P. Il me semble que par leur objet et par leur approche, les études qui constituent ce volume posent de façon très productive la question du rapport entre la fiction et le genre. Pour reprendre la formulation de Dorrit Cohn : la fiction, est-elle une question de degré ou du genre ?

F. L. L’approche des œuvres en termes d’univers fictionnels (pouvant regrouper diverses œuvres singulières) me paraît particulièrement opératoire pour décrire la pastorale, l’utopie, la picaresque, pour lesquels la notion de genre me paraît peu pertinente.  Mais il ne s’agit pas non plus de la récuser, ou de l’écarter de l’analyse. J’ai en effet constaté que des univers fictionnels a priori très homogènes, comme la pastorale, était « meublés » de façon sensiblement différente selon qu’ils étaient construits par un roman ou une pièce de théâtre : les êtres féeriques et les créatures mythologiques y sont, exactement à la même époque, bien mieux accueillis sur la scène. L’analyse des modalités (aléthiques, déontiques, axiologiques, épistémiques) qui structurent un univers fictionnel me semble pouvoir rendre compte de plusieurs différences génériques : le roman, au début du dix-septième siècle, fabrique des monde plus rationnels que les pièces de théâtre ; les romans longs, qui expérimentent tous les possibles, ne sont pas, contrairement à la nouvelle, exemplaires.

La fictionnalité est à mes yeux une question de degré. Je me situe à cet égard tout à fait dans le camps des théories « intégrationnistes », pour reprendre la terminologie de Thomas Pavel, ou « digitales » pour reprendre celle de Marie Laure Ryan (1991)[6], qui postulent qu’il n’y a pas de frontières nettes entre la fiction et la non fiction, et qu’il existe beaucoup de textes hybrides, dont le statut, justement, change dans le temps. Je fais également l’hypothèse qu’un texte de fiction peut accueillir des êtres de statut ontologique hétérogène (par exemple des personnages fictionnels ou transfictionnels, des personnages historiques, des personnages à clefs, des êtres mythologiques etc), en ce qu’ils réfèrent à leurs univers de référence de façon différente. Cette perspective est contestée par ceux qui considèrent que le statut des entités, dans un univers fictionnel est homogène (comme Vincent Descombes[7]). Je travaille actuellement à formaliser des degrés de fictionnalité, notamment à partir des noms de personnages aux seizième et au dix-septième siècle.

A. P. De l’ensemble des travaux qui composent votre ouvrage, se dégage une agréable impression de débat. Débat interne, d’abord, propre à un travail d’équipe, mais aussi débat non moins vif avec Thomas Pavel, Dorrit Cohn et Jean-Marie Schaeffer dont les théories constituent une forme de réseau de références incontournables. Si votre intérêt pour le travail de Thomas Pavel semble aller de soi et s’affiche plus ou moins ouvertement et si un doute constant quant aux propositions de Dorrit Cohn caractérise plusieurs contributions, les réflexions de Jean-Marie Schaeffer sont moins explicitement évoquées alors qu’elles irriguent de façon incontestable Usages et théorie de la fiction. Je souhaiterais vous interroger sur l’apport que son approche particulière (exposée notamment dans Pourquoi la fiction ?) développée à partir d’un corpus qui ne comprend pas forcément les œuvres écrites entre le XVIe et le XVIIIe siècle, peut apporter à la lecture de votre corpus ?

F. L. Il me semble difficile de dire que les thèses de Jean-Marie Schaeffer ne sont pas explicitement évoquées, alors que le dialogue avec Pourquoi la fiction s’engage dès l’avant-propos ! En outre, il n’est quasiment pas un article qui ne discute la notion d’ « immersion fictionnelle » : Ariane Bayle, par exemple, propose de remplacer « immersion » par « contagion » pour certains textes comiques du seizième siècle. Lise Wajeman discute cette même notion, en l’opposant à la conception de la fiction qui se dégage de textes à visée religieuse au seizième siècle (la vérité, par la fiction, doit pénétrer le lecteur). Mathieu de la Gorce  la confronte aux stratégies d’argumentation fictionnelles dans un pseudo-éloge particulièrement retors dans le cadre de la polémique religieuse de la même époque. La productivité théorique de ce concept ne fait aucun doute, même s’il est fortement retravaillé et nuancé à l’épreuve des textes anciens.

L’ouvrage de Jean-Marie Schaeffer a donc été le point de départ et le moteur de notre réflexion. Dans la mesure où il exclut explicitement une perspective historique, nous avons voulu penser l’articulation entre quelques unes de ses thèses et les corpus fictionnels qui nous étaient familiers. Nous nous sommes en particulier intéressés aux risques supposés, aux effets, à la valeur cognitive de la fiction, tels surtout qu’ils sont thématisés dans les œuvres elles-mêmes.

A. P. Dans le cadre des activités du Centre comparatiste d’études et de recherches pour les littératures anciennes et modernes de l’Université Paris 7 - Denis Diderot, vous organisez, cette année, un séminaire  consacré à la théorie des mondes possibles à laquelle vous avez consacré, d’ailleurs, une attention particulière dans Usages et théorie de la fiction. S’agit-il d’une poursuite du projet qui a donné Usages et théories de la fiction ou d’un changement plus substantiel d’axe de recherche ? 

F. L. Il y a en effet un lien étroit entre ces différents projets, accompagné d’un approfondissement des concepts, dus à l’élargissement de notre réflexion et de notre connaissance des théories contemporaines de la fiction. La question de la possibilité d’univers impossibles (que je règle un peu trop rapidement dans Usages et théories de la fiction, p. 106), celle, absente, des modalités, ou de la référence sont désormais au cœur de mes préoccupations, comme, je crois, de celles d’Anne Duprat (qui avait déjà consacré sa thèse à l’émergence du concept de fiction chez les poéticiens du seizième siècle). Aussi ce travail se poursuit, d’une part, par un travail collectif, qui porte cette fois sur « Allégorie et Fiction ». L’équipe comprend toujours Ariane Bayle, Anne Duprat, Guiomar Hautcoeur, et Lise Wajeman et s’est agrégée de nouveaux collaborateurs. Nos réunions devraient aboutir à un ouvrage collectif dans deux ans.

Par ailleurs, le souhait de diffuser ces théories en France, en particulier auprès des étudiants, mais aussi de les mettre à l’épreuve en les confrontant aux textes (en privilégiant ceux des seizième et dix-septième siècles) m’a amenée à proposer un séminaire largement ouvert au public, intitulé : « La théorie des mondes possibles : un outil pour l’analyse littéraire ? » qui se déroule cette année à l’Université Paris 7-Denis Diderot. (www.diderotp7.jussieu.fr/clam)

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